Ce thème a été exploré dans la littérature, les arts visuels, la musique et encore le cinéma.

L’intelligence artificielle brouille les frontières et représente des bouleversement réels et imaginaires.

Certains artistes explorent le thème d’augmentation ou de la perte des capacités humaines et les implications éthiques et philosophiques de la technologie de l’IA.

De nombreux artistes jouent avec la limite entre l’humain et l’inhumain, la vision anthropomorphique de l’IA et l’hybridation homme-machine.

De façon générale, le sujet de la frontière entre humain et la technologie, entre le vivant et le “non-vivant” est riche d’inspiration, de phantasmes et de polémiques.

Il est logique que ce sujet soit exploré par les philosophes et par les artistes dont le rôle a toujours été de poser les questions à la société.

La frontière entre humain et inhumain est en train de bouger

Il y a de nombreux angles pour aborder ces questions.

1. Le remplacement de l’homme par la machine.

L’utilisation de l’IA et de la robotique dans la fabrication, les transports ou encore la santé peut provoquer le remplacement des travailleurs humains par des machines.

Ce thème récurrent depuis l’ère industrielle induit la peur de perte d’emplois, du déclassement et des changements dans la nature du travail humain.

2. Imitation des capacités du cerveau humain.

La capacité de l’IA à reconnaître les images et la parole, leur faculté d’apprendre et de prendre les décisions remettent en question notre compréhension de ce qui nous rend humain et si différent de la machine. Ce thème induit également l’angoisse du dépassement et de la domination par la technologie.

3. L’incapacité de différencier le réel du virtuel.

L’utilisation de l’IA dans le domaine de divertissement et de la communication, la conception d’avatars capables d’interagir avec les humains, la création des images où nous ne reconnaissons pas le vrai du virtuel, tout ceci remet en question notre perception du réel.

La différentiation entre l’humain et le non-humain a déjà évolué.

Nous sommes confronté à une remise en question de plusieurs concepts importants comme la conscience, l’expérience subjective ou encore la division binaire entre le vivant et non-vivant.

La notion de conscience est au coeur du sujet.

Le monde tel qu’il est plus qu’un pur fait objectif, il inclut la conscience.

Ways of Seeing (Penguin Modern Classics) » par John Berger.

Pour définir la limite entre le vivant et le non-vivant, la réponse rapide consiste à évoquer la « conscience » .

Il est vrai qu’il n’existe pas un autre aspect de la vie plus mystérieux que notre état conscient dont nous faisons pourtant tous l’expérience à la première personne.

Le concept de conscience est multiforme. La science ne comprends pas encore la manière dont elle apparaît et ce qu’elle implique. La nature de cette expérience nous échappe et pose un éternel questionnement aux philosophes.

Elle est souvent définie comme l’expérience subjective d’être conscient de ses propres pensées, de ses sentiments et de son environnement. C’est ce qui nous permet de percevoir, de penser et de ressentir d’une manière unique à chaque individu.

Toute la littérature sur le sujet se divise ensuite entre une vision matérialiste et une doctrine antimatérialiste dans le but d’expliquer le grand écart entre notre expérience consciente et le manque des preuves physiques de son apparition au niveau individuel.

Ce sujet est d’actualité avec l’intelligence artificielle (IA) de plus en plus performante où chacun interroge sa compétence de devenir consciente de la même manière que les humains et les autres êtres vivants . Tout ceci fait l’objet d’un débat permanent. Ce débat touche à des questions fondamentales sur la relation entre l’esprit et le corps.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous pouvons trouver des positions et avis diamétralement opposés.

Et les artistes se sont saisis depuis longtemps du sujet, il suffit d’observer toute la création science-fiction, l’engouement pour les histoires de cyborgs et d’autres Transformeurs et Terminators de synthèse.

Je suis frappée de voir dans les galeries d’image collectives des générateurs comme Midjourney que la grande partie des utilisateurs créent des caractères hybrides — humains, animaliers et technologiques- aux esthétiques de jeux vidéo.

Les matérialistes et les anti-matérialistes face à l’IA.

Certains chercheurs et philosophes soutiennent que la conscience découle de la complexité et de l’organisation matérielle de nos systèmes organiques, et qu’il est donc possible à terme que les systèmes d’IA soient un jour conscient.

Les anti-matérialistes soutiennent que la conscience est un phénomène uniquement humain ou biologique et qu’il n’est pas possible pour les systèmes d’IA d’être conscients de la même manière que les humains, car ce type de l’expérience doit nécessairement comporter un aspect immatériel. Descartes ou encore Berkley ont déjà défendu l’idée “d’un dualisme de substance.”

Les néo-matérialistes et l’anthropotechnique.

L’argument des matérialistes part de l’idée simple. Puisque tout est matière, tout est reproductible.

Ce courant de pensée a eu également la tendance à de prendre davantage en considération le rôle actif des “non-humains” ou des machines.

Le travail de Latour est surtout connu pour le concept ‘acteur-réseau’. C’est un cadre théorique pour comprendre comment les divers acteurs humains et les entités non humaines interagissent et s’influencent mutuellement dans des réseaux complexes d’interactions.

La théorie de l’acteur-réseau est souvent considérée comme une forme de constructivisme. Toutefois, c’est aussi une perspective philosophique qui met l’accent sur le rôle des processus sociaux et culturels dans la formation la réalité.

Les différents modèles de pensée néo-matérialiste, plus ou moins influencés par Latour, datent souvent des débuts de la cybernétique dans les années 80 et 90.

Dans une vision extrême, certains considèrent les êtres et les choses comme de simples éléments d’un réseau interconnecté.

Ce qui les conduit à placer sur le même plan épistémologique, un singe, un humain et un téléphone portable.

Ce courant d’objectivation est en marche en philosophie comme en biologie et en science et il peut être parfois à l’origine de nombreux fantasmes technologiques.

Si tout est matière, alors tout est un objet fait de matière avec une fonction (agentivité) du vivant, ou du non-vivant.
La thèse matérialiste est difficile à réfuter : le rôle des processus matériels et les lois physiques dans la formation de la nature même de la réalité est central.

L’antropotechnique étudie ensuite la manière dont les humains utilisent la technologie pour façonner l’environnement.

Partant de ces idées, nous pouvons considérer que le processus matériel et les lois physiques sont les déterminants ultimes de tous les phénomènes, y compris de la conscience et la culture humaine.

Il est possible ainsi en déduire que l’IA pourrait atteindre le même niveau que l’humain.

A titre d’exemple, le philosophe comme Daniel Dennett a plaidé pour une perspective néo-matérialiste sur l’esprit, proposant que l’esprit est un produit des interactions entre le cerveau et l’environnement plutôt qu’une entité distincte. Pour Daniel Dennett, le seul moyen de déterminer la conscience s’est d’utiliser une approche scientifique d’étude de la conscience. Dans cette catégorie de philosophes matérialistes nous pouvons classer également Paul Churchland.

Dans la perspective néo-matérialiste tout est réductible à la matière et tout a une fonction purement fonctionnelle et instrumentale, il est difficile de définir ensuite clairement une limite entre l’humain et l’IA.

Notre pensée est une fonction du cerveau et s’exprime avec des atomes qui nous constituent, de sorte que la pensée peut être reproduite. Cela ne signifie pas que la pensée n’est qu’un calcul, mais que nous sommes des êtres finis, nos processus biologiques constituent une sorte de bio-ordinateur qui calcule.

Et surtout, ce processus reste basé sur la physique de notre monde matériel.

Rien ne nous distingue dans le monde physique du reste des objets de l’univers et donc de l’IA future.

Voici une idée très néo-matérialiste qui est difficile à combattre, surtout si nous regardons uniquement les processus organiques de notre corps.

A l’autre extrème du spectre, nous allons trouver des philosophes antimatérialistes.

Ces philosophes de conscience développent des thèses explicatives différentes.

Un des penseurs des plus décoiffants parmi les techno-philosophes contemporains qui refutent à leur manière la thèse matérialiste est David Chalmers.

David Chalmers est un philosophe rationaliste qui a proposé une théorie de la conscience connue sous le nom de « panpsychisme », une théorie naturaliste de la conscience (en opposition à la théorie physicaliste des matérialistes).
La théorie de Chalmers suggère que la conscience ne peut être expliquée complètement en termes physiques ou matériels. Il a récemment aussi déclaré que dans 100 ans, la réalité virtuelle sera indiscernable de la réalité physique. Son questionnement répond au problème ‘difficile’ de savoir comment une matière organique (cerveau) pourrait générer l’expérience subjective de la conscience. Son approche est purement métaphysique et part de l’expérience vécue à la première personne comme donnée primaire. C’est assez évident, car personne n’a jamais pu directement ‘observer’ l’expérience consciente de l’autrui.

Les discussions sur la frontière entre les humains et l’IA peuvent s’exprimer également dans les termes anti-matérialistes avec une terminologie religieuse.

Le concept d’âme est un concept philosophique et religieux qui a été aussi débattu pendant des siècles.

L’âme est souvent considérée comme la source de la conscience, de la personnalité et du caractère d’une personne, et comme le siège de ses valeurs morales et spirituelles.

Elle serait inexplicable par la science ou réduite à des processus matériels pour les uns, tandis que d’autres la voient comme une simple superstition ou un concept non scientifique.

L’âme est invisible parce qu’elle échapperait au monde physique. C’est un argument défendable, mais aussi parfaitement indémontrable. Il faut croire qu’en nous se trouve une étincelle de feu divin.

Pour revenir ensuite à l’âme de l’IA, nous sommes des êtres bénis uniques et exceptionnels et l’IA ne peut pas nous concurrencer.

Cette foi est pratique pour ne pas avoir peur de l’IA. Toutefois, elle nous conduit souvent à se sentir supérieurs à tout autre être vivant et indifférents au non-vivant.

D’autres théories pour ne pas angoisser de la singularité existent.

Nous pouvons citer la théorie du chaos quantique qui nous éviterait le remplacement par DALL-E ou le chat-GPT .

Cela signifierait que notre cerveau biologique serait rempli de phénomènes de physique quantique si complexes que l’IA ne peut pas les reproduire. Ce degré de complexité chaotique nous protégerait de la copie. Une autre idée indémontrable.

Nous pouvons au moins envisager que la complexité de notre cerveau nous tient encore un moment au-dessus du lot (sauf pour calculer plus vite que l’IA, ce qui est vrai depuis l’invention d’Excel).

La théorie du chaos quantique a été utilisée pour expliquer une variété de phénomènes en physique, tels que le comportement des molécules et des atomes, la stabilité des orbites en mécanique céleste et le comportement des systèmes quantiques dans des environnements complexes.

C’est une branche de la physique qui étudie le comportement des systèmes quantiques très sensibles aux conditions initiales, un phénomène connu sous le nom d’effet papillon. Cette sensibilité peut conduire à un comportement apparemment aléatoire ou imprévisible qui est difficile à prévoir ou à contrôler.
Et, j’en déduis que l’IA est encore pas assez ‘chaotique’ pour nous dépasser!

Et le point de vue de la biologie?

Ce qui est porteur d’angoisse est surtout l’antropotechnie extrême, le rapprochement entre la technologie de l’IA et la biologie, plus spécifiquement le courant de transhumanisme. Il est sans doute nécessaire d’encadrer ce rapprochement entre l’IA et la biologie.

Le transhumaniste fou rêve de déconnecter « le programme humain », donc notre cerveau, de son réceptacle matériel imparfait pour l’insérer dans un corps high-tech éternel et plus efficace.

D’une certaine manière, mon cerveau d’artiste serait augmenté par DALL-e et mon corps serait remplacé par une excellente machine à dessiner qui saurait manipuler les pinceaux comme un robot de dernière génération. Pour l’instant, je préfère toujours garder mon corps imparfait et mon cerveau chaotique et utiliser DALL-e pour l’inspirer et le déconnecter quand je le décide.

Mais en dehors des postures caricaturales, il a des sujets qui ont surgit récemment et bouleversent sérieusement ce que nous avons tous appris à l’école : la définition du mot OBJET.

La division entre le vivant et le non-vivant n’est plus du tout binaire.

Nous avons créé des bio-objets. Ces ‘productions’ sont commercialisables, stockables, transformables, comme tous les ‘objets’. Mais contrairement à la définition que j’ai appris à la maternelle pour désigner un objet, un animal et un humain, un ‘bio-objet’ comme une cellule souche est potentiellement capable de devenir un humain ou une partie d’un humain. Ce qui ne figurait pas dans mon livre d’école! Et c’est une révolution. Un objet peut avoir un ‘potentiel’ multiple allant du non-vivant à l’humain.

La division entre le vivant et le non-vivant est ainsi transformée.

Ce qui est humain et non humain, sujet et objet ou nature et artifice évolue depuis deux décennies à grande vitesse.

Je pense que notre conscience (encore elle!) ne suit pas pleinement cette évolution.

Comment ne pas être intrigué par ces sujets?
Cela m’inspire personnellement bien plus dans ma création que de peindre la nature morte du 19e siècle ou mon village.

L’artiste Annicka Yi présente ses idées sur ces questions dans le livre Metaspor. Dans ces créations, elle aborde également le sujet du post-humanisme et de la prise de conscience de notre sentiment de supériorité dans le monde vivant. Elle met en scène notre fragilité face aux diverses extensions, améliorations et appendices technologiques non humains dont nous nous entourons.

L’art de questionnement.

J’observe deux courants parallèles : la technicisation de la vie d’une part et l’objectivation technologique de l’humain dans la sociologie et la philosophie.

Il est donc important d’examiner les façons dont les technologies façonnent et transforment notre compréhension de l’humain, du vivant et du non-vivant.

On peut dire que nous abordons ainsi la compréhension de la vie même.

Cela nous engage à réfléchir sur la nature de la conscience, sur la valeur de la vie, les impacts des nouvelles technologie, nos rapports au vivant et à la Terre, sur l’IA forte et la condition humaine du 21e siècle.

Voilà pourquoi ces sujets sont porteur d’inspiration et stimulent notre créativité.

L’inspiration artistique augmentée par l’IA, mythe ou réalité.

L’inspiration artistique augmentée par l’IA, mythe ou réalité.

Dans mon exposition à Prague en 2022, je joue avec une certaine ironie avec l’idée d’anthropomorphisme en créant l’univers « Patternworld », peuplé de créatures hybrides « peuples GAN fabriqués à partir de puces ». En réalité, le sujet de la limite entre l’humain et inhumain est très riche et m’offre de nombreux possibilités pour m’inspirer.

lire plus

Inscrivez-vous pour recevoir des informations dans votre boîte de réception.

Nous n’envoyons pas de messages indésirables ! Lisez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

="2"]

Ne manquez pas le prochain article!

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.