Quand l’art devient mortellement ennuyeux.
Mon humeur trash .
Le musée Bourdelle a ouvert ses portes le 15 mars 2023 après travaux avec une exposition dédiée à Philippe Cognée (né en 1957). Cette nouvelle m’a ravie, car j’ai eu l’occasion de faire de nombreux croquis l’année dernière dans cet espace magique grâce à mon professeur des Beaux-Arts de Paris et j’appréciais également les oeuvres de Cognée.
Mais attention, cette fois-ci, adieu la solitude, bonjour la foule ! Pour vous en remettre, vous pourrez même prendre un verre sur une nouvelle terrasse aménagée.
Mais quelle déception de découvrir l’exposition de Philippe Cognée – ce peintre que j’aime bien – et sa série « La peinture d’après ». Cette partie centrale du parcours est dédiée à des tableaux repeintes directement sur les feuillets arrachés du catalogue de la Foire de Bâle. Il s’agissait de facto d’enduire de peinture des photos de créations d’artistes plus ou moins célèbres et ceci sur des centaines de pages A4. Pas en détournant l’image, mais en la reproduisant.
J’ai trouvé que cela relévait davantage de l’exécution laborieuse, j’ai pesté contre ce ‘truc’, une idée de répétition et une prouesse stakhanoviste avec comme message réchauffé depuis Warhol : ‘le consumérisme dans l’art’.
Je veux dire, je comprends qu’il y ait des peintres qui s’inspirent d’autres artistes. J’aime bien les idées de détournement des images, mais repeinturer exactement une image en utilisant toujours le même procédé avec acharnement, si je suis positive, c’est une performance. Destinée, pourquoi pas, au sein d’une exposition, dans un coin sur une tête de gondole pour s’amuser un peu.
Je suis sortie contrariée du musée, car exprimer ma déception auprès des personnes qui m’ont accompagnée et oser ainsi une critique de Cognée n’était pas bien perçu.
Je n’ai pas réussi à trouver de facto la véritable raison de ma colère avant un certain temps.
Mes premières argumentations étaient sans doute contestables.
Truc ou conception?
Je fais la différence entre une idée créatrice et un truc. Je ne sais pas bien comment l’expliquer sérieusement, car c’est plus subjectif comme perception.
L’art ne devrait pas être un simple processus de production, une proposition d’exploit stakhanoviste, mais quelque chose qui demande de l’inventivité et un effort de conception singulière.
Cette série est une idée de faiseur stakhanoviste, mais pas un processus qui demande de l’invention et un grand effort de conception. Ce n’est pas non plus une installation où l’artiste participe et prend le risque de se confronter à son public. Il faut en plus lire encore une pancarte pour comprendre et ne pas imaginer qu’il avait réellement conçu les images.
S’inspirer ou copier, niveau d’exigence.
Je pense que nous devrions avoir en tant qu’artiste le respect de la conception originale.
C’est un peu comme si quelqu’un vous disait que vous étiez un excellent chef pour avoir réchauffé une pizza surgelée. Où que réchauffer une pizza est aussi difficile que de mettre au point une nouvelle recette.
L’art contemporain se perd parfois dans une mer de superficialités. Il semble que tout ce qui compte, c’est le concept d’emballage ‘à message’, mais pas une vraie proposition forte, originale et inusitée et encore moins la qualité esthétique. Je n’ose même pas parler de la compétence technique ou artisanale, de la connaissance des matières et des couleurs.
Je voudrais qu’on retrouve la passion et la force dans l’art, pour sortir des appréciations qui ne peuvent fonctionner qu’avec un écriteau éclairant du concept en début de salle.
Car sans l’explication sophistiquée sur la méthode de travail de la série « D’après », on aurait pu supposer que ces barbouillages répétitifs ont été faits par une école maternelle pour la vente à la kermesse de fin d’année.
Confronter la perception avec les autres, en se faisant étriper.
J’ai été perturbée par les autres visiteurs qui semblaient adorer l’ouvrage de Cognée et regardaient assidûment les centaines de pages de catalogue peinturlurées avec la même touche pâteuse.
Il devait œuvrer deux ans pour finir le répertoire et il fallait ainsi s’incliner devant tant d’abnégation.
Comme on m’a expliqué avec un certain dédain pour mon supposée ignorance de l’art moderne, c’est une formidable représentation d’un supermarché de l’art. C’est sans doute pour ceux qui n’ont toujours pas compris le concept rebâché depuis les années 70.
Peut-être, je suis tout bonnement fatiguée de devoir chercher une excuse pour un travail médiocre sous prétexte que l’auteur est connu.
Cela arrive de faire passer un manque de créativité, un trou sans inspiration avant de repartir dans une nouvelle direction pour une idée géniale.
Mais, tout cela est, je l’accepte, une argumentation parfaitement discutable. Mais, j’ai réussi seulement en sortant de comprendre mon profond malaise. Incontestable et définitif. Aucun des arguments précédents n’est le bon.
J’ai eu la peine pour les artistes du catalogue.
Je ne suis pas opposée à l’utilisation du travail des tiers pour l’inspiration, mais la série de ‘repeinture’ de Cognée me donnait un sentiment désagréable de voir dévaloriser, de mépriser le travail de conception des autres auteurs.
Figurer dans le catalogue de la Foire de Bâle, c’est généralement signe d’un parcours artistique d’effort qui n’a pas payé tout de suite. Chaque créateur devait trouver sa voie et pas juste ‘copier’ pour être dans ce catalogue.
J’ai vécu cette mise en scène au fond comme un manque d’estime et de respect des autres artistes peintres. Si Cognée avait repeinturé un de mes tableaux sans me demander, c’est ce que j’aurais ressenti platement.
Pourquoi?
Son procédé nivelle visuellement vers le bas chaque œuvre ou, du moins, met tout au même niveau.
Une sorte de mise en inégalité de tout en détruisant la singularité des artistes. Une approche totalitaire. Voilà, je trouve enfin la source de mon malaise. La destruction de la singularité totalitaire sans le respect de l’invention. Mon passé dans le régime communiste a encore fait surgir de mon inconscience le refus de ce type de message ‘artistique’.
Heureusement, il y avait quand même des œuvres de Cognée que j’ai appréciées.
J’ai aimé son travail sur la finitude avec la technique fétiche de l’encaustique. Les toiles de fleurs pourries accrochées en fin de l’expo ont parfaitement résonné avec mon humeur.
Bien morbide, le symbole de la mort, de l’évanescence et en très grand format pour bien sidérer les esprits. Après la phase destructrice de la singularité des salles précédentes, la mort célébrée en grand format.
Je trouve dans cette partie de l’exposition (également dans les portraits au début) un phénomène étrange, une émotion, une conception surprenante, maîtrisée et une belle réalisation inédite. Je note que la moitié de mes comparses et défendeurs de la série « D’après » n’ont pas aimé du tout cette salle.
Le rapt des Fleurs vannées et mes idées mortelles
Après avoir étudié les fleurs de Cognée avec attention, pour me venger de ma frustration, j’ai décidé de faire mon « D’après ».
Le tableau D’après se nomme « Le rapt de Cognée ».
Faire « D’après » n’est pas toujours mortel.
Étape conceptuelle, qui est aussi utile pour faire le texte de l’écriteau : « Le rapt consumériste de l’art. »
« L’auteur a opéré un considérable effort intellectuel pour trouver le correct équilibre entre la noirceur et la beauté, tout en respectant la vision de Cognée et introduisant la thèse du rapt consumériste qui détruit le milieu artistique dans ce monde en dérive. »
Étape de préparation :
Une esquisse au crayon au Louvre d’un bout de tableau où je pique trois Nymphettes. C’est pour la partie besogneuse et preuve de mon artistitude. J’ai essayé aussi avec le Rapt de Hippodame de Rubens pour un métissage historique de grands peintres.
Le matériel prévu pour l’hybridation avec les tableaux de Philippe Cognée.
Étape d’exécution :
Deux minutes alors que Cognée a peiné deux ans. Ce qui est plus logique, car les produits sont manufacturés de nos jours vite et pour pas cher. On n’est pas là à trimer pendant deux ans avec de la gouache à l’heure de Midjourney. Le temps présent, c’est l’accélération et pas l’artisanat besogneux.
Voici le « pitch » définitif (dans le milieu d’art, on dit concept, dans la publicité pitch, CQFD.
Célébrer la beauté évanescente et la mort certaine d’une manière unique, sans se casser les pieds avec la page blanche, permettant d’afficher le concept central du rapt consumériste dans l’art.
Et, j’ajoute même ma touche personnelle : le décès de l’imaginaire grâce à l’IA.
Et un brin de mauvaise foi pour finir.
Nous n’avons point besoin de l’IA pour assister à la mort de la créativité dans de nombreuses expositions d’art moderne. Il suffit de faire le rapt des conceptions des autres artistes. Si on tire la pelote, on peut faire au moins une page sur le sujet dans un blog et une édition numérique avec un certificat NFT pour terminer avec une version science-fiction, street-art et BD !
Tout se vend, si c’est bien emballé.
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