Cette belle exposition d’Egon Schiele à la Fondation Vuitton est l’occasion de rappeler deux ou trois choses sur ce peintre qui nous conduisent directement au thème très actuel de la censure bien-pensante.
Le 100ème anniversaire de sa mort (1890-1918) d’ Egon Schiele est célébré en grande pompe à Paris, au côté de Basquiat, l’artiste parmi les plus côtés actuellement sur le marché de l’art moderne.
« Ai-je du talent, » aurait demandé Schiele à Klimt, son mentor. Qui lui aurait répondu : « beaucoup trop ».
Schiele quitte Klimt en 1910 en laissant derrière lui un tableau, version trash du Baiser de Klimt : le Cardinal et la Nonne.
Schiele, c’est ce trait nerveux, indompté, visages émaciés, yeux exorbités, perturbant l’œil.
Les corps nus, coudes saillants, pubis et organes génitaux soulignés, le corps maltraité, personnages androgynes.
Sans tabou et sans pudeur.
A côté du tableau « La femme vue en rêve » de Schiele, l’Origine du monde de Courbet est une image pour la maternelle.
Ces peintures ont déchaîné les haines dès 1910.
Lors d’une exposition collective à Prague, la police ordonna le retrait de ses dessins.
Un an plus tard, à peine arrivé à Cesky Krumlov (Krumau), la critique de ses oeuvres jugées pornographiques l’oblige à quitter les lieux.
De même à Neulengbach en 1912, il est accusé de détournement de mineurs. Il passe finalement quelques jours derrière les barreaux pour outrage à la morale publique.
« Après ma mort tôt ou tard, les hommes chanteront certainement mes louanges et admireront mon art », affirmait Schiele.
J’ai un petit faible pour Schiele.
Et, nous n’en avons pas fini avec la censure.
Ces affiches sont même encore censurées au 21ème siècle à Londres, Hambourg et Cologne.
Les reproductions d’œuvres d’art, présentées dans les espaces publics (comme les abris de bus ou le métro), comme sur Facebook, sont donc affublées de bannières couvrant les seins et les pénis !
La nouvelle censure, à l’heure des réseaux numériques, prend une forme inédite.
Au moindre téton qui pointe, les réseaux sociaux sévissent.
Pétris de bons intentions, les réseaux sociaux sont pudibonds.
Bien pire, la liberté d’expression n’est pas désormais menacée que par la frange habituelle droitière, conservatrice et extrémiste. Ni uniquement par un algorithme inculte de Facebook.
On censure au nom des causes comme le féminisme, l’antiracisme, droits des animaux et liberté religieuse.
Sous la pression des activistes et des pétitions moralisatrices en ligne, on retire de plus en plus des œuvres des musées et des expositions dans un élan d’auto-censure bien-pensante des organisateurs. Ou simplement, pour éviter de se faire démolir sur les réseaux sociaux ?
Il faudra un casier judiciaire vierge pour exposer ?
Au nom d’une sorte d’exemplarité supposée de l’artiste, le public ne fait plus la différence entre son œuvre et sa vie.
Nous vivons dans un monde qui brouille sans cesse des frontières entre la réalité et la fiction. Du coup, nos lois qui protégeaient les œuvres d’art, ne sont plus opérantes. Tout le monde « dénonce » et « alerte » avec émotion, sans discernement et sans culture nécessaire. Et surtout, sans distinguer la réalité de la fiction.
« Une œuvre d’art est censé pouvoir porter atteinte aux bonnes mœurs ou encore mettre en scène des comportements illégaux, parc qu’elle est bien de l’ordre de l’imaginaire ».
Même l »Observatoire de la liberté de création découvre de nouvelles formes de censure!
Depuis sa création en 2003, initialement ciblant surtout les associations les plus réactionnaires, il s’alarme désormais aussi de nouvelles formes de censure, pas du tout ‘de droite’.
L’Observatoire de la liberté de la création rappelle :
« L’oeuvre d’art, qu’elle travaille les mots, les sons ou les images, est toujours de l’ordre de la représentation.
Elle impose donc par nature une distanciation qui permet d’accueillir sans confondre avec la réalité. C’est pourquoi l’œuvre (…) ne saurait, sur le plan juridique, faire l’objet du même traitement que le discours qui argumente, qu’il soit scientifique, politique ou journalistique ».
Je suis 100% d’accord sur le fond.
Je ne suis pas à 100% d’accord tous les combats de l’Observatoire.
Lorsqu’ils défendent la programmation récente de Médine au Bataclan, il ne s’agit pas à mon avis de la censure de Médine, dont la prose m’indiffère. Mais, d’une programmation racoleuse de Bataclan.
Mais, cela se discute. Je pose la question de la motivation des organisateurs. L’observatoire pose la question sur la pression qu’exerce le publique sur les organisateurs. Ils ont raison de poser le problème aussi de cette manière. Pourquoi?
Le sujet de programmation ou de la déprogrammation sous la pression de l’opinion publique n’est pas un sujet sans intérêt.
En attendant, on a déjà censuré les artistes comme Brett Bailey et Dana Schutz aux Etats-Unis, à Londres et en France.
Car « l’homme blanc ne doit pas confisquer l’histoire traumatique des noirs ».
L’expression de la souffrance noire serait donc réservée aux artistes noirs, si on suit la pensée du collectif Exhibit B et de Claude Ribbe.
Le ‘scandaleux’ Andreas Serrano vandalisé par les catholiques intégristes rejoint la censure exercée au Guggenheim contre HuangYong ping à cause des activistes de la cause animale .
Oleg Kulik est retiré de la Fiac (quand il fait trop le chien méchant).
MOCA retire des oeuvres du sculpteur Carl André à cause de son passé judiciaire.
La souriante manga-Rokudenashiko (the Art of Vagina) est condamnée pour obscénité au Japon.
Ah. Remarquez, personne n’ose déprogrammer le gourou suisse Balthus. Mais, on évite de montrer ses toiles des années 30, lorsqu’il était inspiré par Thérèse Blanchard, âgée de 10 ans. Sa « Leçon de guitare » de 1927 serait sans doute impossible à afficher sur FB.
L’ONG danoise Freemuse, crée en 1998, dénombre 672 artistes et œuvres d’art sur la liste noire et 48 emprisonnements .
Au total, l’année dernière, l’ONG a répertorié 553 cas de violations de liberté artistique dans 78 pays.
Il ne s’agit pas que des Etats autoritaires, comme la Chine ou l’Iran, où c’est inhérent au système politique.
Ce qui m’effraie le plus, c’est qu’il s’agit souvent de la pression des groupes civiles minoritaires, dans les pays libres.
Hurlant et gesticulant au nom de leur vision de la morale.