De retour de mon ex-petit pays où règne un petit Trump, je me pose pas mal de questions.
J’ai eu une discussion avec les amis qui comme aux Etats Unis souffrent de cette vision de leur ‘représentativité’ par un président au comportement médicalement douteux qui se présente en leur nom sur la scène internationale.
Comment assumer lorsqu’on fait partie de ces 46%-49% d’électeurs malheureux qui subissent des votes des autres citoyens qui assument visiblement sans broncher l’élection d’un idiot inculte, d’un néo-fascho identitaire ou d’un réactionnaire autocrate narcissique (ou les 3 à la fois) à la tête du pays.
Le profil de Trump représente des signes de névrose, de comportement compulsif ou impulsif selon le jour ? Le profil de Zeman, est identique : un narcisse égocentré qui n’accepte aucune contradiction avec ses propres idées incohérentes, passant du communisme au nationalisme ultralibéral en une phrase dans une langue à peine correcte et pleine de contradictions.
Une amie américaine m’avoue son embarras de voyager au Mexique avec son passeport américain. Mes amis tchèques fulminent et ressentent la honte de voir à la tête du pays Zeman et Babis. Que dire des démocrates et humanistes italiens, hongrois et autrichiens, des polonais modérés qui découvrent leurs gamins mis au ban de la classe, s’ils refusent de participer au catéchisme à l’école ?
A Prague fleurissent actuellement des affiches 4×3 avec une rime ironique comme les tchèques savent faire : « Bolsevicka vlado, Prazaci nejsou stado ». En traduction approximative qui ne rime pas en français : « Vous, le gouvernement de bolseviks, sachez que les pragois ne sont pas un troupeau ». Cela fait rire, sans résoudre le problème de la mairie incompétente.
Le chauffeur de taxi pragois a résumé avec humour ainsi la situation : « Vous savez, ce gouvernement a le soutien de ces électeurs buveurs de bière (« pivni volici »). L’addiction à la bière est une addiction nationale, voilà le résultat. »
La question que je me pose sérieusement, est la suivante. Ne sommes-nous pas tous face à un déni collectif de la véritable raison de ce désastre électoral ?
Nous lisons partout que « les élites ont sous-évalué les méfaits de la globalisation et de la crise financière » et que tout ceci serait lié au « accroissement des inégalités… ».
Et si ce discours repris comme une ritournelle était totalement à côté de la plaque ?
Une explication trop facile de ceux qui oublient systématiquement mentionner que la moitié du monde est sortie de la pauvreté, de la misère et de la famine par cette affreuse globalisation. Que les tchèques grâce à l’Europe et la globalisation vivent par exemple dans un pays avec 3% de chômage où manque cruellement la main d’ouvre, avec un niveau de vie comme jamais avant ?
Et même si les statistiques ne collent pas comme en Autriche ou en République Tchèque, on répète encore et encore ces analyses sur la crise économique et le « problème de pouvoir d’achat » qui fait que les citoyens votent comme des souris apeurées à plus de 50%.
Le déni collectif est peut-être ailleurs. Il est plus difficile à admettre.
Nous avons pris l’habitude de tout voir à travers l’analyse froide économique, financière et chiffrée. La manie des dernières décennies de la technocratie occidentale consiste à tout résumer et expliquer en quelques chiffres. C’est surtout un bon moyen de voir la faute ailleurs, mais pas dans nos cerveaux.
Nous sommes donc réduits à des machines mécaniques qui voteraient selon le niveau du porte-monnaie, de la capacité à s’acheter des choses dans les magasins ou mieux, selon l’écart de notre porte-monnaie et celui du voisin ?
Et l’âme ? Tout va bien ?
Un petit rappel. Jusqu’à la moitié du 20ème siècle, le principal souci sanitaire ont été des maladies infectieuses, remplacées ensuite pendant des années glorieuses, lorsque nous avons tous grandis et grossis, par les maladies cardio-vasculaires. Et pour la gloire de l’agriculture productiviste dopée aux pesticides et nos fabricants de la cigarette, le cancer.
Or depuis les dernières décennie la catastrophe sanitaire dans les pays occidentaux est la maladie mentale. Pas forcément si lourde qui nous empêcherait de travailler ou à élever nos enfants. Mais, qui nous handicape suffisamment pour représenter une souffrance plus ou moins fréquemment.
Depuis 15 années, à moins de vivre sur une île déserte, personne ne peut nier l’accroissement massif de troubles psychologiques, de dépressions, burn-out et du stress chronique. Ajoutons à cela la diminution des liens familiaux et l’augmentation de la solitude.
La consommation des psychotropes (qui n’est pas très efficace en réalité à long terme) fait le bonheur des laboratoires pharmaceutiques, mais qui sont désormais un peu au bout de leur capacité à fournir cette pilule miracle qui marcherait sans fabriquer des zombies sans goût de vivre.
Le taux d’étudiant qui sont sous psychotropes est explosif partout en Occident, comme le taux des travailleurs, cadres et personnes âgées. Le phénomène existe dans toutes les couches sociales, les personnes tiennent à un bout de ficelle grâce aux pilules magiques. C’est désormais un phénomène majoritaire dans nos populations.
Comment peut-on imaginer que ces maladies qui se propagent comme de véritables épidémies du 21ème siècle en occident n’aient aucune incidence sur l’environnement social et civique et ne soit pas liberticide ?
Une des caractéristiques principales est l’augmentation de la peur, de l’angoisse, un besoin accru de sécurité, un recentrage sur soi, sur un « tout petit soi bien protégé », la difficulté à communiquer avec l’Autre.
Pourquoi ne pas préférer plus de sécurité, même au prix de la liberté ? Comment ne pas avoir peur de cette liberté qui nécessite la capacité et la force mentale pour faire des choix difficiles que représente la vie humaine ?
Comment prendre des risques dans la vie en ajoutant le niveau de stress supérieur au vase déjà bien plein ?
La réalité est que nous sommes des analphabètes de la santé mentale.
Nous avons assurément augmenté la capacité de réflexion en moyenne, notre niveau intellectuel et notre longévité. A l’école, nous pensons qu’il sera utile de former les enfants à plus de savoirs informatiques et scientifiques et à la culture physique, mais jamais à la culture mentale.
Cette forme d’analphabétisme de la santé mentale représente sans doute un danger massif social et peut être même biologique. Car sur plusieurs générations, il conduit aussi à la destruction massive de nos gènes de survie qui nous ont rendu forts. La culture mentale consiste à ne pas fuir la difficulté, mais la considérer comme une composante normale de la vie humaine et de faire face sans se désintégrer.
Les gens vivent dans les villes polluées, bruyantes et loin de la nature, passent leur temps à regarder les écrans à chaque instant de la journée où ils pourraient passer un instant à rêver et reposer leur mental.
Ils continuent à se remplir le cerveau de données même en dehors du travail stressant et deux heures avant de se coucher.
Nous pourrons assurément imaginer demain au pouvoir partout des « Poutines » autoritaires, ces « pères » rassurants et sévères, promettant de l’ordre et la sécurité à des individus apeurés, angoissés, solitaires dans leur détresse mentale, infantilisés, egocentrés et envahis par le mal-être.
Depuis des années, il est de bon ton de demander partout aux enfants et aux adultes, de manière exacerbée, de réussir « personnellement », « d’être motivé », de » prendre initiatives », de « devenir décideur et acteur de sa vie », alors qu’on a envie parfois juste d’obéir ou de bien faire.
Comment l’avouer sans se dévaloriser aux yeux de la société maniaque de ‘développement personnel’ presse bouton.
Qui n’a pas subi dans sa vie au moins une fois l’éternel gourou qui propose de mesurer et améliorer notre performance individuelle avec les graphiques savants ! Sans succès.
Ah, nous n’avons pas du tout envie de voir la déconfiture mentale de notre génération ! C’est plus facile de parler de l’économie.
Une faute à l’égard de la norme sociale consiste désormais moins à être désobéissant qu’à être incapable d’agir. C’est moins l’indiscipline qui est en jeu que l’incapacité à être à la hauteur dans les discours au travail et à l’école.
Alors que nombreux sont désormais ceux qui seraient peut-être plus heureux et rassurés, s’il devait juste obéir à un chef autoritaire ? Comme au pays du wahhabisme ? Comme au pays de Poutine ?
De quoi avons-nous le plus besoin pour ne pas jeter la liberté aux orties à cause de nos angoisses ?
Nous ne vivons pas au 21ème siècle dans les conditions saines dans nos villes, nos récepteurs sont sans cesse sursollicités par trop de données, nous ingurgitons une quantité d’informations négatives, nous subissons la malbouffe, la pollution sonore et la pollution de l’air.
Nous sommes dans l’air du capitalisme cognitif et du marketing de l’attention.
Nos cerveaux y sont piégés comme des poumons des grands fumeurs ont été par la nicotine.
Il semble important d’apprendre à gérer au niveau individuel les effets que tout ceci a aussi sur notre mental.
Si la demande pour le yoga, la méditation et les techniques asiatiques millénaires de relaxation et de pleine conscience augmente à l’occident, si les Saki Santorelli et Kabat-Zinn écrivent des best-sellers et nous rappellent de grandes vérités, ce n’est pas sans doute juste un phénomène de mode, dont on devrait ricaner.
J’observe partout que c’est aussi un reflex de survie des plus habiles de la population.
Les moins habiles gèrent leurs états de détresse par les addictions, la bière à Prague, la vodka ailleurs, les drogues et les Lexomil et les religions dirigistes et extrêmes un peu partout.
Ceux qui regardent un plus loin, apprennent à gérer le stress par différentes techniques mentales, vivre dans le présent, limiter l’exposition aux données et méditent dans le métro au lieu de faire des SMS.
Regardez simplement comment les gens respirent dans les moyens de transport : le minimum pour ne pas s’étouffer, un minimum d’oxygénation des cellules pour ne pas crever sur place, rien de bouge dans leur poitrine.
Mais, ils lisent tous des mauvaises et fausses nouvelles en quantité sur leurs mobiles. De quoi devenir des boules de nerfs angoissées.
La santé mentale et l’impact sur les votes pour les leaders autoritaires
La santé mentale des citoyens occidentaux est désormais un souci sanitaire majeur (voir les stat. OMS).
Le niveau de stress et d’angoisse de la majorité de la population n’est sans doute pas sans conséquences sociales et sans impact sur les choix des populations dans les moments où on leur demande de voter.
Je ne vois pas comment ceci pourrait être autrement.
Peut-être la « grande nervosité contemporaine », pour reprendre l’expression d’Alain Ehrenberg, joue un rôle bien plus important que l’économie et la finance sur les plébiscites populaires des narcisses psychopathes autoritaires qui représentent les citoyens dans les instances mondiales.
Il est sans doute plus facile à rationnaliser à postériori et moins dégradant pour nous tous de se donner le beau rôle de citoyen averti des crises de l’économie et de la malveillance de la finance mondiale que de se traiter mentalement instable, trop angoissé ou maniaco-dépressif pour expliquer son vote.
QQ données pour réfléchir et factualiser :
Alain Ehrenberg, un texte à lire : https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2001-1-page-…, une dimension centrale de l’individualité moderne.
https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2001-1-page-…, un excellent texte.
QQ chiffres tout de même : OMS évidemment.
OMS, Organisation mondiale de la santé estime que les troubles mentaux touchent environ 450 millions de personnes dans le monde. Que ce soit dans les pays développés ou en développement, plus de 25 % des individus présenteraient un ou plusieurs troubles mentaux ou du comportement au cours de leur vie. L’Organisation mondiale de la santé a sonné l’alarme déjà en 2001 quant à l’importance épidémiologique des «problèmes de santé mentale» dans le monde. Elle affirme que la dépression (les troubles dépressifs unipolaires selon la codification CIM-1066 ) est la première cause d’incapacité en Occident en 2001 (AVI: années vécues avec une incapacité). Elle prétend également que la dépression sera en 2020 en tête des causes de morbidité en Occident, dépassant les maladies cardiovasculaires.
http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_2005-2008.pdf
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