« Mais ton travail consiste en quoi exactement ? »

C’est question classique des parents à leur progéniture lorsqu’elle commence à travailler.
Suit la réponse avec le soupir déjà fatigué du jeune travailleur qui vous prend pour un produit périmé qui lit encore les livres :
« Mais tu ne vas pas comprendre. C’est difficile à expliquer ».
Dis-moi tout de même!
« Je fais du trading des options binaires en mode High et Touch. »
Et par le regard appuyé, il vous fait comprendre : « Tu vois bien que ce n’est pas la peine que je t’explique.

Qu’est qu’on mange ce soir ?
Il pratique déjà le langage binaire d’expert alors qu’il débute à peine!

Personnellement, je n’abandonne pas : « Merci d’expliquer à ceux qui ne sont pas de ton clan, mais avec les mots compréhensibles ! »

Je n’abandonne pas, car, l’essentiel pour toute relation humaine est le pont qu’on construit vers les autres en créant la compréhension.
Ce qui ne veut pas dire l’approbation. Mais, c’est bien aussi le début de toute collaboration.
Et de manière plus large, la condition sine qua non de la paix.

Le plus court chemin vers l’innovation : être un passeur analogique.

Ajuster le langage à son public est aussi la base de la pluridisciplinarité, donc de l’enrichissement mutuel.
Le plus court chemin vers les innovations et la recherche des solutions.
Je suis admirative des personnes qui sont capables expliquer un savoir-faire complexe (physique quantique au hasard) et à le partager avec des personnes candides comme moi.

Pour expliquer au membre d’un autre » clan » comme à un enfant, il faut souvent procéder par analogie.
Ceci signifie souvent qu’on accepte d’abandonner la précision.

Il faut renoncer à la rapidité et à la précision du langage binaire au profit de l’imaginaire et de la lenteur de l’analogique.

On découvre vite que le jargon réducteur, efficace et rapide ( binaire), qui fonctionne entre experts, n’est pas opérant avec les autres.

Nous vivons dans le monde de plus en plus complexe et spécialisé.
L’expression précise et parfaitement limpide pour un expert, comme ‘trading des options binaires’ ou ‘l’intrication quantique’, n’est évidemment pas compréhensible par tous.

Peut-on se réjouir de vivre dans une société où les métiers de plus en plus pointus éloignent des gens?

Ne fragmente-t-on pas la société entre ceux qui se comprennent en jargonnant et les autres?
Doit-on finir par se parler qu’entre traders, entre physiciens, entre développeurs ou entre adorateurs de scrapbooking à travers la planète sur le forum adapté?
Chacun dans sa bulle du réseau social entre les siens, avec sa langue réduite au jargon?
Poussé par les algorithmes des réseaux sociaux à se trouver de plus en plus confiné dans sa tribu?
C’est plus commode et plus rapide.
Ceci permet de s’identifier à un milieu. De plus, ceci vous construit une véritable identité.
C’est aussi donc très rassurant.
Une sorte de reconstruction de vieux clans tribaux en période technologique.

Pourquoi il faut se défaire avec énergie du jargon de l’expert

Tout d’abord, il faut faire des efforts pour aller vers l’intelligence collective, moins verticale et cela passe au quotidien dans la capacité à expliquer sa compétence aux autres.

On retrouve ici le fait que notre capacité de langage analogique est une composante essentielle de notre humanité.
Pour se faire comprendre, il faut ajouter de l’analogique = procéder par analogie.

Par conséquence, c’est effectivement un renoncement à la précision et la rapidité de la transmission : « »Tu vois, « c’est comme », mais pas tout à fait.  Je te donne un exemple. Tiens autrement dit…

L’imprécision, la capacité à renoncer à l’exactitude totale est souvent le frein pour les experts. Si le médecin vous assomme de terminologie incompréhensible, serez-vous plus rassuré sur votre santé?

Or, pour se faire comprendre hors de son ‘clan’, le langage est souvent plus flou, plus expérimental, plus tâtonnant, plus imagé. C’est nécessaire pour avancer vers l’autre !

Vers l’empathie des passeurs.

Un bon pédagogue n’est pas celui qui vous fait ingurgiter les gigabits d’information à sa classe. Pour les extraire de la RAM saturée avec la donnée  pendant un examen?
Input/output, vrai/faux, 10/20.
Il ne reste pas grande chose dans nos mémoires de ces « pédagogues-binaires » adorateur de QCM et des notes découpées en petites fractions de points, encore plus précis que 1/20.

Le bon prof est celui, qui par la communication et langage analogique (tient nous y sommes) et donc par empathie (compréhension de l’autre), transmet un savoir.

Pédagogue, constructeur de pont, passeur, il utilisera beaucoup le langage de l’intelligence analogique.
Il vérifie simplement en vous demandant de reformuler, si votre compréhension, votre restitution est bonne ou médiocre.  Nul besoin de noter comme un superordinateur Cray 1.

Ce n’est surtout pas le refus de la complexité de la réalité qui est la solution. Elle est là et il faudra apprendre à l’apprivoiser.

Si on doit se comprendre mieux tous demain, il faut faire simplement plus que jamais attention au langage utilisé.
Notre monde qui est assurément plus ouvert dans l’accès aux données. Mais fabrique en même temps des communautés de plus en plus fragmentées qui les comprennent.

Quel est le risque ?

Que les experts, comme les groupuscules idéologiques se parlent bien plus et bien mieux au niveau planétaire.
Mais de moins en moins avec tous les autres.
Que ceci favorise les replis communautaires, les groupes fermés d’experts « élitistes », des clans des semblables qui se barricadent derrière les murs réels ou imaginaires.
Avec leur langage et leur idéologie.
Les fractures infranchissables, les précipices pour les autres, créant le sentiment de rejet et des frustrations.

Nombreux hommes en réaction risquent d’être à la recherche d’identité aux contours précis avec une logique en noir et blanc et sans nuance.
Pour se rassurer devant ce qu’ils vont percevoir comme trop grand, trop plat, trop incompréhensible, trop complexe et inaccessible.

Les leaders politiques qui profitent de la peur et du repli sont tous des rois du langage binaire.

Ils présentent une réalité avec les 0 et 1 : les bons, c’est nous, les méchants, ce sont les autres.
Puis, ils compressent la réalité et produise un résultat en calcul univoque :  » le problème vient que de l’autre clan ».

Le langage binaire est aussi une façon de penser. Il ne peut être combattue que par la promotion des ponts.
La communication analogique et l’empathie sont les instruments que nous avons tous à notre disposition.
C’est ce qui différencie encore le plus l’homme, l’animal et la machine.

Il est important de former et de valoriser les passeurs. Ceux qui expliquent (même des sujets très complexes) et prennent le temps d’expliquer aux autres.

Comme disait ma maman cuisinière et chimiste, » il faut mettre du liant ».

sources:
https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2012-3-page-201.htm
https://zeboute-infocom.com/2014/12/04/comprendre-formes-communication-digitale-analogique/
http://www.systemique.com/la-systemique/ecoles-de-pensee/les-sources/ecole-de-palo-alto-quels-apports.html
https://www.cairn.info/l-ecole-de-palo-alto–9782130606628.htm
http://www.communicationorale.com/palo.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Palo_Alto
https://journals.openedition.org/communicationorganisation/1560
https://www.youtube.com/watch?v=3lx3EjE0Trw