« Il faut faire quelque chose ! »
Le cri sincère et un post péremptoire de la dame et du monsieur au détour d’une petite discussion sur un sujet ’grave’.
Puis la dame et le monsieur passent à un autre sujet révoltant.Tiens, la disparition des rhinocéros ou la question des kurdes.
 
Pourtant, parfois il n’y a pas de solution.
Il y a peut-être des actions à faire, qui s’imbriquent et à la fin peuvent améliorer des choses, mais sans aucune certitude.
 
Des expérimentations, des négociations, de la séparation des va-t’en guerre, des chantages auprès des pénibles.
 
Je ne sais pas, parfois il me semble, qu’ il n’y pas grande chose à faire.
Et parfois, ce n‘est pas non plus le moment de faire quelque chose.
Parfois, ce n’est pas à nous de le faire.
Parfois, nous devons accepter de rien faire du tout.
 
Il est totalement inutile de se limiter à des exclamations d’indignation moralisatrice qui sont sans intérêt. Particulièrement, lorsqu’elles s’accompagnent d’un manque d’intérêt réel pour un sujet.
 
Je pense par exemple à la situation des Kurdes.
 
Il n’y a pas UNE solution au ‘problème kurde’.
Car il n’y a pas UN problème kurde, mais des dizaines de problèmes kurdes.
 
Nous pourrions avoir une mauvaise conscience en France et en Grande Bretagne, car nos arrières grands parents n’ont pas soutenu la création d’un Etat kurde après la première guerre mondiale.
Mais, c’est comme des allemands nées en l’an 2000 pourraient avoir la mauvaise conscience concernant leurs grands-parents et leur vie en 1940. C’est un peu de l’archéologie historique, pas très pertinent comme justification d’action en 2018.
 
Les réalités après un siècle, sont un peu différentes de l’année 1918 et il faut en tenir compte. Sinon, il est facile de tomber dans les phrases vides de tout contenu : ‘Il ne faut pas laisser tomber les kurdes !’.
C’est une injonction morale logique. Mais que faire réellement ? Pouvons-nous entreprendre une action sensée dont la conséquence sera à coup sûr positive ?
 
La première chose est de démonter les mythes et de voir ce qui se passe au quotidien.
 
Le rêve de la création d’un Etat kurde d’un « Kurdistan » existe.
 
Mais, il n’est pas réaliste pour de nombreuses raisons qui ne dépendent pas que de l’Occident.
 
D’abord ceci concerne aujourd’hui la population de 4 pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie), les pays qui ne s’entendent pas.
Puis, les kurdes entre eux sont également divisés. Il n’existe pas une vision commune, de ce que devrait être un Etat kurde.
 
Ceux qui en parlent sont plus souvent dans l’optique de création d’un Kurdistan dans les cantons à pétrole clan par clan, famille par famille.
Un Kurdistan pour Barzai ; un Kurdistan pour la famille Talabani et un autre, basé sur l’idéologie apoïste pour les adeptes d’Öcalan. Celui de PYD et de PKK.
Parlons d’abord de ce dernier.
Ce leader historique du mouvement a mixé le marxisme et l’écologie radicale de Bookchin, penseur américain, qui a été le dernier à avoir inspirer Öcelan avant de mourir. Le leader révolutionnaire des guérillas kurdes a réécrit finalement le marxisme initial en une sorte de version d’écologie radicale communale situationniste qui matche bien avec une culture clanique dotée d’une milice armée, c’est l’idéologie kurde qui se nomme l’apoïsme.
 
Parlons donc d’abord de cette branche et du PYD.
 
Les américains ont utilisé les guérillas kurdes syriens de l’ouest de l’Euphrate (c’est la logique typique américaine de « proxies » qu’on arme à la place des militaires importés) pour combattre Daesch. Car c’était pratique et sans doute le meilleur moyen de gagner contre Daesh.
J’ai écrit en 2015 dans mon post sur le risque de cette solution.
Sur le fait que les kurdes syriens de PYD ne sont pas les kurdes de Barzai irakiens. Et que si on ne fait pas la différence, on va le payer plus tard.
Je ne suis évidemment pas la seule à comprendre qui sont les guérillas révolutionnaires kurdes de PYD et l’ambiguïté de cette situation.
C’était donc un choix assumé.
Et selon plusieurs responsables kurdes de PYD même , c’était un accord « militaire, temporaire, transparent et tactique ! » (sic).
 
Nous avions évidemment dans les média ensuite droit au mythe de la Femme libre kurde photogénique en treillis et armée curieusement d’un AK-47.
 
Les combattantes (formées pour devenir ‘déesse-mère’ selon Öcelan ) sont belles sur les photos, mais la réalité est encore un peu différente.
 
Dans les mouvements basés sur l’idéologie d’Öcelan, Il s’agit d’un fonctionnement codifié, stricte, des militantes désexualisées et formées dans les académies dédiées aux femmes kurdes pour acquérir un comportement précis. Ce n’est pas du féminisme à la française comme on souhaiterait le présenter.
Il s’agit à peu près du même mythe de la FEME libre kurde que celui de l’Homme nouveau soviéticus.
 
A l’est de l’Euphrate, les kurdes ont réellement bien travaillé et réellement décimé Daesch.
Les kurdes syriens qui sont au pouvoir sont proches des cousins kurdes turcs. Pas très proches des kurdes iraniens et irakiens.
Mais ils se déchirent autant qu’en Irak entre les clans et familles en querelles ancestrales. Leur armée, la milice PYD est crédible, tenue en laisse, elle n’est pas majoritaire, mais puissante.
C’est donc un organe armé d’un mouvement hiérarchisé à l’idéologie radicale.
Il n’est pas possible d’être cadre dans la milice PYD sans appartenir en réalité au courant politique PKK.
Ces combattants étaient prêts à donner la vie pour leur idéologie apoïste comme les islamistes en face n’avaient pas peur de mourir.
On peut dire que les islamistes de Daesh se sont cassé le nez sur ceux qui avaient une idéologie aussi jusqu’au-boutiste qu’eux.
C’est autre chose que de combattre un mercenaire qui le fait pour l’argent et un révolutionnaire entraîné dans les camps de PYD.
La coalition les soutenait donc sur le terrain comme des peshmergas kurdes irakiens. Deal tactique.
 
A l’ouest de l’Euphrate, les kurdes autour d’Afrin (3ème enclave syrienne kurde négociée avec Bachar el -Assad) étaient gérés par les russes et quelques chefs de guerre locaux. Les kurdes ne sont pas amis avec Asad, mais ils savent négocier avec lui et ménager leurs intérêts.
Il n’y avait là quasiment pas de révolte contre le régime de Bachar el-Assad. Au contraire, certains groupes kurdes ont activement aidé l’armée de Bachar à Alep. Du coup, pendant les années de guerre, ils n’étaient pas de facto côté ‘coalition’, mais du côté de notre ennemi, ce ‘boucher’ Bachar el-Assad.
C’est que les gouvernements locaux des trois enclaves kurdes ont négocié un pacte de non-agression avec Bachar el-Assad… Deal encore.
 
En 2016, l’armée turque a franchi une première fois la frontière pour marquer comme un tampon séparateur les deux factions kurdes de l’est et de l’ouest de l’Euphrate craignant la création de 500 km de ligne de front à sa frontière dans les mains des chefs de guerre kurdes dominés par PYD.
Tout le monde a laissé faire, car tout le monde a compris qu’une région longue de 500km dominée par la milice de PYD n’est peut-être pas tout à fait souhaitable.
Et donc en 2018, quand les gars kurdes de l’ouest (un peu moins occupé à combattre Daesh) arrivent aider les gars de l’est à Afrin, les Turques bloquent encore le processus. Avec l’aide des « rebelles » syriens éjectés d’Alep.
Qui se sont pris des balles kurdes justement à Alep et rendent la monnaie. Dent pour dent.
 
Pour l’instant les kurdes de l’ouest de l’Euphrate en Syrie continuent à recevoir notre soutien, car les groupes islamistes y sont encore actifs. A priori.
Mais les turques vont difficilement accepter l’existence de la Rojava élargie dans les mains de PYD, proche de PKK turc.
 
Le Kurdistan indépendant syrien autour de Hassaké, Kobané et Afrin est construit sur le principe de communalisme (par les citoyens soldats), doté d’une structure administrative fédérale, les délégués des conseils populaires (maisons du peuple) et conseils thématiques, notamment pour gérer le pétrole sous embargo.Mais avec les difficultés classiques inhérents à la pratique du consensus et une société basée sur une idéologie révolutionnaire encadrée par la milice armée.
Par ailleurs, ils vendent le pétrole brute au gouvernment syrien qui leur renvoie l’essence raffiné. Deal typiquement écologique et révolutionnaire.
 
La Turquie a d’abord accepté les 3 enclaves historiques relativement autonomes en Syrie depuis 2012 suite au retrait de Damas du nord du pays.
Mais pas un état kurde de 500 km le long de la frontière turque dans les mains de PYD, même à tendance « très écologique ».
 
Les kurdes de Barzai en Irak ?
 
La Turquie a accepté une relative autonomie de Kurdistan irakien sous Barzai en situation de paix.
 
Mais, en Irak, le clan kurde Talabani et Barzani se sont déchiré à l’occasion du référendum.
Bagdad (et sans doute les iraniens qui savent manipuler les clans opposés) ont réussi à saboter le référendum du Gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK), dans les mains du clan Barzai.
 
GRK, avant cette idée de référendum pour l’indépendance, a été même soutenu par la Turquie (si !). Ainsi le clan kurde Talabani a précipité la chute du clan kurde de Barzai.
Et la Turquie a puni Barzai qui a voulu profiter du bazar local pour créer son Etat kurde familial, doté de pétrole et indépendant, sous sa gouvernance.
 
Le référendum sur l’indépendance de Barzai, ce n’est pas la même chose que l’autonomie politique au sein de l’Etat irakienne. C’est la création d’une petit état pétrolier dans les mains d’une grande famille. Simple.
 
Et alors si Barzai est l’ennemi de Talabani, est-il l’ami de PYD syrien ?
Non plus.
En Irak, le GRK affaibli de Barzai est aussi en conflit avec le PYD (PKK) syrien qui contrôle la zone autour de Sinjar (nord-ouest d’Irak). Le PKK, est considéré ici aussi comme une organisation terroriste…
Du coup, les turques risquent d’aller aussi à Sinjar irakien, mettre un peu la pagaille dans le coin, puisque Barzai est sur la touche et PYD s’étale…Simple.
Qui ne suit plus?
On complique?
Ajoutons que le parti de Barzai, GRK , a aussi une branche syrienne présente dans les enclaves du PYD ; laquelle a boycotté les élections des enclaves en Syrie des cousins…
 
Disons qu’on est encore loin d’un Etat kurde où tout le monde s’entend sur le chef et le modèle de société et le propriétaire des puits.
 
Et les kurdes de l’autre côté de la frontière ?
 
Dans le Kurdistan du Nord turc, le DTK (je sais, ils s’appellent tous presque pareil) fédère aussi les conseils locaux, mais aussi avec les représentants arméniens, araméennes, yézidies, alévies et turkmènes qui font tout pour fuir les conflits et tous les autres mouvements. Ils en ont marre de se faire exploser dans les autobus, puis punir par Erdogan.
Vous suivez encore ?
 
Je dirais comme la dame, il faut faire quelque chose… d’accord.
 
Il en faut pas laisser tomber les kurdes. Ben oui.
 
Mais lesquels ? Ceux de Talabani, de Barzai, de PDK ou des milices du PKK et de PYD, des apoïstes d’Öcelan, des milices qui sont des amis des russes, de celles qui ont signé un pacte de non-agression avec l’armée de Bachar el-Assad, en acceptant les armes de la coalition ?
Ankara, Téhéran, Bagdad, Damas et ma voisine s’intéressent à la question kurde.
Mais n’ont pas le même avis sur la solution.
Personnellement, je n’ai pas d’avis du tout…je suis perplexe devant ce bourbier.
 
Il faut dire que si on résume un français à un bonhomme râleur avec un béret et baguette sous le bras, on sait que c’est une caricature.
 
C’est un peu comme présenter un combattant kurde apoïste, qui met en pâté un djihadiste de Daesh, comme un petit chiot abandonné au bord de l’autoroute en été.
 
Ou si on rappelle au propriétaire kurde de la raffinerie artisanale qui enfume le paysage autour de Rumeilan les principes de l’écologie radicale du leader Ocelan et de son gourou américain Bookchin.
 
Pour compléter le dispositif avec les dernières actualités:
 
Les autobus russes de la Ghouta orientale sont en train de transporter les 40.000 djihadistes (qui ont déposer les armes en les gardant sagement).
 
Ces voyageurs appartenant à des 3 principales branches Jaïch al-islam (l’Armée de l’Islam, dotée d’un méga financement de l’Arabie Saoudite), Faylaq al-Rahman (la Légion du miséricordieux au programme patriotique syrien pas trop islamiste, proche d’ASL, mais parfois fachés avec les kurdes) et les plus dures du Front-al-Nosra (même rebaptisé) restant proche d’ Al-Qaïda.
Ces trois groupes ne s’aiment pas du tout entre eux et après la mort d’Allouche en 2015, leurs rivalités se sont transformées en combat de gang pour le contrôle de la contre-bande. Avec comme capitale la ville de Douma.
Ils partent tous désormais vers Idlib. Sauf un groupe de derniers zadistes qui résiste encore à Douma.
 
Une partie de ces défenseurs de la population sunnite, qui prend le bus, va se recycler pour aider l’armée turque en remettant juste des chargeurs dans leur arme pour buter les kurdes d’Afrin…
Désarmés, ils ont droit d’apporter une arme avec trois chargeurs ‘uniquement’. Ceci s’appelle : « désarmer un rebelle islamiste par un russe ». Pour se recycler en activité agricole à Idlib, sans doute.
 
En ce qui nous concerne, il serait déjà bien (avant de se lancer dans les tirs de missiles) de combattre les mythes.
 
Par exemple, celui d’un apoïste très ouvert au dialogue et à l’écologie, comme celui de l’homme bleu touareg du désert très ‘progressiste’.
 
Celui, sur l’aide désintéressée que va nous fournir MBS, Mohammed ben Salmane, pour s’impliquer dans les vertueuses frappes contre l’arsenal chimique syrien qui frappe la Douma, laquelle a été sous contrôle de Jaïche al-islam, donc de facto de son armée wahhabite jusqu’ici.
 
Les mythes ont la peau dure dans les salons parisiens.
Quelques sources pro et con.
 
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-3-page-21.htm
Théorie et construction des rapports de genre dans la guérilla kurde de Turquie
http://www.lesoir.be/138588/article/2018-02-07/webdoc-bons-baisers-du-kurdistan-silence-ca-revolutionne#
« Analyses » (Çözümlemeler) d’Öcalan
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/07/FERNANDEZ/55910
Murray Bookchin Au-delà de a rareté ou https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/COURT/57879
https://www.monde-diplomatique.fr/2014/11/KAVAL/50968
 
https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/COURT/57879
http://www.europe1.fr/international/syrie-soupcons-dune-attaque-chimique-a-douma-des-cas-de-suffocations-3620771