En faisant des rangements je tombe sur cette photo de 2006. Quelle mouche m’a piqué pour se balader à la frontière nicaraguayenne avec cet équipement équestre douteux et en compagnie tout aussi louche ?
Parfois, les rêves d’enfance nous jouent de drôles de tours encore cinquante ans plus tard.

Mes idoles d’enfance furent des Indiens.

Désormais, dites « natives american’s ». Comme pour les techniciens de surface, il faut ne plus dire des balayeurs ou pour les aveugles on préfère les non-voyants. Désormais, chacun cherche à parler correctement. De mon temps, nous parlions juste convenablement et nous disions donc les Indiens.

Mon idole, mon amour secret pendant de longues années fut l’Indien Vinnetou, le héros cinéma d’un western est-allemand de la série « Vinnetou – Red gentleman ». J’ai été subjugué par les Apaches, une tribu, que je situais à l’époque dans le Dakota du Nord, qui sont en réalité plutôt des contrées tribales des Cheyennes et des Lacota. Mais tant pis pour la géographie. Le film a été tourné de toute les manières en Yougoslavie avec des acteurs grimés est-allemands. Le scénario est basé sur une adaptation approximative d’un vieux livre allemand de Karl May, mort en 1912.


Vinnetou – Red gentleman , est allemand

Cette série eut un succès phénoménal dans le bloc de l’est. Les deux premiers films ont était vu en Tchécoslovaquie par  8 millions de spectateurs et le troisième épisode plus tardif par plus de 4.5 millions. C’est beaucoup pour une population de 14 millions !


À l’époque, l’histoire du monde a été souvent triée et dûment sélectionnée pour pouvoir pointer du doigt toutes les erreurs des capitalistes et surtout des Américains. L’extermination des peuples de l’Amérique du Nord était une aubaine pour les cinéastes communistes. De plus, tout ce qui était ‘rouge’ était forcément bien vu. Au même titre que les œillets rouges, fleurs officielles de toute manifestation, la couleur rouge avait une connotation politique.

Les cow-boys américains blancs détenaient toujours le mauvais rôle et les Indiens rouges étaient toujours braves et malins. Pour une fois, l’histoire n’était pas complètement fausse, juste parfaitement manichéenne et utilisée astucieusement pour les fins de la propagande.

Cela n’enlève rien au bonheur des gamins comme moi qui rêvaient de Vinnetou, un brave Appache aux longs cheveux noirs, galopants sur son magnifique cheval européen.
L’histoire est celle de sa longue amitié avec un blanc très honnête et évidemment pas américain. L’ami de Vinnetout était un géomètre allemand Old Shatterhand qui épousa même la sœur de Vinnetou, la belle Nscho-tschi (jouée par l’actrice française Marie Versini).

Nscho-tschi et Vinnetou meurent à la fin de la série. Cette fin tragique était un véritable chagrin de mon enfance.

Vinnetou était courageux, fort, inusable et plein d’astuces et contournait tous les pièges. Ce fut mon plus grand héro d’enfance.

Je passais toutes les vacances scolaires à la campagne chez ma grande-mère. Je forçais les gamines du village à jouer aux Indiens. 

Mes petites copines préféraient de jouer à la maîtresse d’école. J’approchais alors de leur groupe en douce, rampant dans les buissons. Les plumes sur la tête, j’attaquais l’école avec le véritable tomahawk en caoutchouc. 

Dans mes souvenirs d’enfance, les acteurs du film étaient beaux, visage taillé à la serpe. Récemment, j’ai eu l’idée de recherche sur Google les vieux images du film.

J’ai découvert Lex Barker (Old Shatterhand) et Pierre Brice en Vinnetou. Mon héros maquillé et grossièrement déguisé, aux traits épais, bouffis et avec une perruque ridicule. J’ai été sérieusement ébranlée.

Dans la recherche rétrospective de nos influences, il est certain que ce personnage culte à la fois sauvage, indomptable, avare de parole et pur représentait pour moi le modèle du héros. Il m’a sans doute aussi conduit à faire pas mal de bêtises.

Le silence indien

Sans doute, le monde des Indiens luttant pour la survie au milieu des méchants entrait en résonance avec mon environnement. 

La survie, cela se mérite. Entre autre, Vinnetou m’a appris « le silence indien ». Les dents serrés, il refuse de répondre sous la menace du méchant.
Il est évident, qu’en dehors de la sphère familiale, le danger était partout. J’ai appris toute petite à ne jamais rien dire sur les discussions familiales à l’école. La parole libre et sans contrôle représentait un risque.

J’ai appris comment rester neutre sur les sujets sensibles débattus à l’école pour tester la réaction des enfants.
Il fallait construire une image de façade d’une fillette obéissante, studieuse qui ne s’intéresse qu’aux livres, ignorant l’actualité.
Trois leçons familiales sont gravées dans ma mémoire :

« Jamais répéter en dehors de la maison ce que mes parents pensent du pays, des communistes, des russes et de la politique. Ceci pourrait envoyer ma famille en prison. «

 » Passer pour un imbécile naïf est la meilleure défense. Il faut feindre de rien savoir sur les sujets sensibles. Si on me demande ce que je penses de la politique, alors je joue celle qui ne s’intéresse pas au sujet. »

 » Ne faire confiance à personne. Ne jamais rien dire, même à la meilleure amie, car son père pourrait être membre du parti.»

papa et maman


En dehors de la maison, je vivais sous une carapace de silence. J’en retirais pourtant une certaine satisfaction.
C’était signe de confiance accordée par mes parents. J’avais une responsabilité évidente. Ainsi, ils m’acceptaient dans le clan des adultes initiés et capables de résister au bavardage ‘d’un blanc faible’.
Le silence fut une règle de survie indienne.