J’ai été très contente de retourner au Centre Pompidou.
Mais l’exposition «Elles font l’abstraction » m’a rendu triste et dubitative.
Tout d’abord, elle montre bien l’histoire des ‘invisibles’, des artistes femmes cantonnées trop souvent aux arts décoratifs, au textile, au statut de l’égérie et de l’épouse d’artiste.
Cette réalité est une plaie ouverte, une douleur du passé. Et une réalité désagréable encore de nos jours. Les récits de l’histoire de l’art présentent de ‘grands hommes’ et les femmes en sont absentes.
Les raisons sont variées, citons entre autres le statut de la femme dans la société, l’accès à l’éducation, la pression sociale. Qui connaît Janet Sobel et sa technique de « dripping » ? Pollock est considéré comme l’inventeur. Exit Sobel, Krasner, Frankenthaler.
Nous avons tous entendu parler des artistes masculins d’Op and Pop (art optique) comme Vasarely ou Escher, mais qui connaît Boto, Kolarova et Riley. Oui, c’est triste et ce n’est pas nouveau. Les femmes artistes ont été souvent invisibles.
Réécrire l’histoire de l’art?
Les organisateurs se sont visiblement donnés comme objectif de réécrire l’histoire de l’art abstrait avec comme mot d’ordre :
« Il faut penser les femmes artistes indispensables à la compréhension de l’art et montrer qu’elles ont participé à chaque mouvement. «
Et voilà la seconde raison de ma tristesse ou plus l’objet de mon agacement.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est ce vieil adage qui me vient à l’esprit à la sortie de l’exposition du Centre Pompidou cette semaine.
L’exposition est un véritable parcours pédagogique sur l’invisibilité, mais pour illustrer les propos, elle présente malheureusement une sélection d’œuvres pas toujours des plus convaincantes.
Imaginons que pour montrer l’évolution de l’art moderne du 20e, le curateur décide de présenter les moins bons tableaux de Picasso, de Miro et de Chagall, les photos médiocres de Jean Loup Sieff et une robe banale d’Yves Saint Laurent. Tous les artistes ont une production inégale.
Alors pour la « réécriture de l’histoire de l’abstraction », une belle ambition, il faudrait aussi argumenter avec les œuvres un peu plus remarquables.
Le parcours décevant.
L’exposition présente un seul tableau remarquable de Veira da Silva, une petite pièce de Frida Kahlo, une statue pas très représentative de l’œuvre de Louise Bourgeois, un peu de Delaunay, un paquet de Georgia O’Keeffe (bof), une pièce entière dédiée au spiritualisme des amoureuses de Blavatsky, un peu de Bauhaus et de la « Nouvelle tapisserie » comme le clou de l’exposition.
Pas de Schjerfbeck, pas de Niki de Saint Phalle, aucune statue de Germaine Richier et exit toute la période qui décoiffe après 1960.
Le parcours produit un sentiment général de mollesse et d’éparpillement pédagogique. Exactement l’inverse de l’objectif !
Je préfère assurément la période (totalement absente) des années 1960 avec des rebelles comme Carolee Schneemann, Valie Export, Orlan ou Marina Abramovic.
Je préfère toujours la rébellion à la victimisation.
Chacun chez soi.
La seconde raison de mon agacement est cette manie de vouloir valoriser la femme en la séparant. Chacun bien chez soi.
On retombe dans le travers datant de 1937. L’exposition ‘Les femmes de l’Europe’ était taxée « d’une bonne flânerie pour une heure » par les journalistes. La même année, l’exposition présentait le fauvisme, le cubisme, le dadaïsme et ne comportait aucune femme (ni Alice Bailly chez les fauves ni Élisabeth Sonrel chez les symbolistes).
Ce que je voudrais ?
Je voudrais mettre la plus belle pièce de Sonia Delaunay ou de Hélène Schjerfbeck à côté de ces pénibles tableaux marronnasses de Braque. Je voudrais les statues de Germaine Richier pour montrer la limite du très répétitif Giacometti.
Je voudrais une exposition de l’art abstrait du 20e où on montre les meilleures pièces de femmes et d’hommes côte à côte.
Je voudrais voir une grande exposition d’Anna-Eva Bergman et qu’elle reçoive le même enthousiasme que celle de Hartung. Bergman a produit non seulement une œuvre originale, mais surtout à contre-courant des écoles artistiques. Je trouve son travail bien plus étonnant que celui de son mari.
Pour mémoire, Leonor Fini ou Dora Maar se disaient artistes « tout court » et « non femme artistes ».
Je termine sur une note plus positive. Le hors-série Télérama « Femmes artistes ni vues ni connues » est très intéressant.
Comme par hasard, ce numéro présente les œuvres remarquables qui manquent à l’expo de Pompidou.
Complément suite à la lecture de l’interview d’Elisabeth Badinter qui dit bien mieux ce que je ressens comme danger :
« L’universalisme est maintenant considéré comme un gros mot. L’universalisme, c’est un objectif à atteindre qui tient compte du concept d’humanité, de ce qui ce qui nous rassemble et pas ce qui nous distingue. Et je pense que le développement du communautarisme anglo-saxon, tel que nous le voyons apparaître, c’est une arme absolument redoutable contre la démocratie. »