Ma photo prise à la Fondation Beyeler située à Riehen, près de Bâle, soulève une question symbolique.

A la suite de l’invention de la photographie, les peintres se sont interrogés. Pourquoi peindre un paysage, si une simple photo reproduit le réel ?

Le visiteur sur la photo semble attiré par la percée et la lumière naturelle de ce beau paysage. Il boude l’immense toile de Monet couvrant tout le mur de la salle consacrée à cette unique toile. La percée imaginée par Renzo Piano fait concurrence au peintre Claude Monet. L’architecture et la penture s’affrontent sur le sujet de la représentation et le rapport au réel dans l’art.
Je triche un peu en racontant cette histoire. Car, ce visiteur sur la photo est un architecte et pas un peintre.

fondation Beyeler par Renzo Piano
Fondation Beyeler par Renzo Piano
Heureusement, la peinture n’est pas morte avec l’avènement de la photo et du cinéma.

Bien au contraire, elle a bien évolué. Elle ne s’est pas non plus dissoute dans d’interminables palabres conceptuelles, en apogée dans la période d’après-guerre.

Un article très intéressant de Musée Georges Pompidou pose la question sur ce que signifie peindre aujourd’hui. http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-peinture-contemporaine/ENS-peinture-contemporaine.htm

Une longue traversée de questionnement sur la peinture

La peinture contemporaine a progressivement abordé pendant le 20ème siècle tous les questionnements formels, parfois de manière fort dogmatique.

Après la seconde guerre mondiale, nous avons traversé la période où Gerhard Richter et surtout
Sigmar Polke furent traumatisés par l’expériences de la peinture propagandiste au service d’une idéologie. Ils œuvraient donc pour la vider de toute transcendance et signification.  La peinture visiblement compromise idéologiquement devait s’extraire du contenu. Elle devint une technique ou même une sorte de pratique mécanique aveugle à base de trames de points.

Il faut imaginer le contexte. Sigmar Polke a connu une éducation idéologique fortement marquée, né en Silésie à l’époque du 3e Reich. Sa posture est compréhensible. Pour Richter, on se souvient de ses études de petites carrées de couleurs . Il ramène ainsi la peinture au stade initial d’un système de coloris Pantone.


Robert Ryman est décédé en 2019. Il jouait depuis des années 60 avec l’espace d’accrochage dans la grande tradition minimaliste monochrome, initiée par Malevitch. Il créa comme obsédé par la question de la limite de visibilité de l’œuvre. Et, il finit par présenter les carrées blancs comme une ultime mystification artistique.

Bertrand Lavier explore de manière ironique les limites entre l’art et le non-art. Ce spécialiste des objets quotidiens est tombé dans la fontaine (de facto il s’agit d’un urinoir) de Duchamp tardivement. C’est dans les années 80 qu’il entreprend à recouvrir de peinture les armoires, pianos ou voitures. La question posée par Duchamp fut ainsi reformulée par Lavier .
« Une couche de peinture suffit-elle à faire d’un objet de l’art ? »

L’exposition d’automne de la Fondation Beyeler
On peut en citer d’autres :

Ceux qui s’interrogeaient sur la façon d’accrocher la toile comme une question métaphysique fondamentale. Claude Viallat dont les tâches à l’éponge poseraient la question de « mobilité de la toile débarrassée de son châssis ». Admirons l’obsession de la tâche répétitive sur toutes ses toiles.

Buren se concentra pour changer de la même façon sur ses bandes de 8.7 cm.

L’exposition de la Fondation Beyeler

impossible d’oublier le groupe Supports surfaces (Louis Cane, Marc Devade ou encore André Valensi). Ces artistes pensent donc « la peinture comme un élément parmi d’autres au sein d’un contexte ». Ils extasient sur les marques de pliage de la toile obtenues lors du transport.

Inutile de s’embarrasser pour ce courant avec le sujet, la composition. ici, pas de message ou une intention volontariste. Le pliage fera l’affaire dans cette ‘mise en crise’ du tableau de chevalet…Ouf.

Fabrice Hyber nous fait partager sa passion de jardinier avec une œuvre hétéroclite à base de brindilles et de carottes. Parfois même, et pour ma part sans regret, éphémères. Hyber fait une sorte de scrapbooking artistique en assemblant les photos, des objets et des dessins maladroits. Toutefois, il a une intention conceptuelle claire en appelant son œuvre Homéopathique. Nous devons comprendre sous cette appellation : « une multiplicité active constituée d’infimes éléments » . Il arrive à aborder ainsi même les sujets d’actualité géopolitique. Comme pour l’homéopathie, il y a toujours des adeptes.

Le Pop Art a aussi laissé les traces.

Depuis les années 60, les artistes s’inspirent avec plus ou moins de bonheur de la pub, de la BD et de la science-fiction. Ou alors des séries policières pour raconter des histoires dans une nouvelle tendance figurative et narrative. Ils sont proches de la culture populaire ou de la BD comme Roy Lichtenstein. Ils utilisent des codes de cinéma comme Jacques Monory (décédé en 2018). Ces toiles bleues sont criblées de balles et incrustées de miroirs. Jean-Michel Alberola, depuis 1980, mélange des références issues de la mythologie, du cinéma ou encore de l’art africain.

Une sorte de radotage conceptuel ou formelles animent encore parfois nos artistes contemporains. Et surtout nos enseignants de beaux-arts en ce début de nouveau siècle.

La mondialisation, la révolution numérique et l’art

Les bouleversements de la société de la fin du 20e siècle coïncident avec des chamboulements dans l’industrie de l’art. De nouveaux musées se multiplient dans de nombreux pays d’Asie et au Proche Orient.

Ceci se conjugue souvent avec un fond de collections relativement pauvre et la spéculation autour des oeuvres mineurs. Nous avons souvent le sentiment que la boutique du musée est le clou de la visite.

boutique de la Fondation Beyeler
indispensable boutique

J’ai un souvenir de ma récente visite d’un musée contemporain dans une ville de Corée du sud. J’ai pu « admirer » trois reproductions de tableaux de Miro et des photos de famille avec une loupe fournie à l’entrée. Puis, suivre un récit de sa vie présenté sur les panneaux muraux. L’ensemble de cette exposition ‘temporaire’ insipide a été installé dans une bâtisse immense dépourvue de toute autre œuvre. C’est un cas extrême, mais pas unique.

Apport de la mondialisation

Je constate pourtant aussi un extraordinaire enrichissement de la création par les mélanges culturels que produit la mondialisation. La création contemporaine est vigoureuse et elle affirme son rôle moteur dans l’art. Même si le centre de la production de la création se déplace vers l’Asie. Avec, entre autres, ce regain du geste, issu peut-être de la calligraphie chinoise (voir Yan Pei-Ming).

Certains artistes travaillent autour des questionnements fondamentaux comme l’artiste allemande Katharina Grosse. Son travail fait appel à l’architecture, à la sculpture et à la peinture. Elle offre des expériences immersives étonnantes. Elle travaille aussi la peinture au pistolet industriel dans la grande tradition de Hartung.

La succession des mouvements artistiques du 20ème siècle ont pu faire croire au remplacement de la peinture par de nouvelles formes artistiques. En réalité, ces nouveaux moyens, y compris numériques ont participé à son enrichissement. Parfois en ouvrant simplement le geste au-delà de la toile en deux dimensions.

Peu importe la façon de créer, ce qui compte est le fait que la peinture résiste.

Peindre aujourd’hui et un certain manque de subtilité.

La peinture occidentale a parfois cette manie de vous tirer par la manche. Elle vous supplie de la regarder avec insistance comme une personne égocentrique. Certaines œuvres sont de vrais tyrans, d’autres très bruyants et grandiloquents. L’engouement consumériste pour l’art apporte son lot de créations qui s’imposent comme des tenues à la mode de la dernière saison.

Mais, tout n’est pas négatif. Grâce aux différentes expériences picturales développées depuis les années 60, la peinture est devenue pour la jeune génération d’artistes simplement un médium comme les autres. Elle est désacralisée et et par la même libérée.

Leonor Antunes
Leonor Antunes
Nous assistons en réalité à un véritable renouveau pictural qui inclut même le dessin.

L’artiste crée avec une véritable liberté dans une cacophonie de styles, nourris par les influences à l’échelle planétaire. Le retour du geste côtoie la grande tradition figurative, enfin décomplexée, l’improvisation, la peinture au pistolet et des installations multimédia .

Il suffit de regarder la production des artistes comme : Thomas Schütte, Ellsworth Kelly, Anselm Kiefer, Philippe Parreno, Louise Bourgeois et Wolfgang Tillmans.

Ou encore Wilhelm Sasnal, Lucas Arruda, Sergej Jensen, Tacita Dean, Silvia Bächli, Toba Khedoori et bien d’autres.

L’exposition de la Fondation Beyeler
Toba Khedoori

Dans le monde de l’art à l’heure de la mondialisation, il faut crier fort pour se faire entendre.

Je déplore simplement le manque de subtilité et de silence. Ce fait est induit par la nécessité d’émergence dans la multitude planétaire.

Qui a dit ?

« Un peintre, c’est quelqu’un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec la lumière, avec un chiffon imbibé de silence » ?


CHRISTIAN BOBIN
Georg Baselitz
Georg Baselitz

Peindre, un besoin éternel et une posture de battant

Giacometti et Serra
Giacometti et Richard Serra


Si la peinture n’a pas disparu, c’est qu’elle représente bien plus qu’une activité économique spéculative ou un loisirs de retraités.
Christian Bobin (essai Pierre, un portrait consacré à Pierre Soulages) écrit sur le besoin de peindre des pages d’une grande lucidité.


« On ne crée que pour guérir d’une angoisse, arrêter à mains nues les cavales de l’Apocalypse fonçant sur nous. Pour tenir face à la mitraille du néant, pour ne pas se coucher de lassitude sur la terre meuble des conventions, on écrit, on compose, on peint. Le divin est l’ordre lancé au cœur de battre et de se battre.

 On choisit sa mort : ce ne sera pas celle qui viendra à la fin, ce sera celle qui vient à chaque fois que vous décrochez le mot juste, à chaque fois que le fouet sur la peau de la toile imprime le lacet qu’il faut, qu’il fallait, exactement, le trait, la gifle qui frappe le néant, le dissuade d’avancer plus près, donne congé à la si persuasive tentation de se rendre. »

Christian Bobin, Pierre,Gallimard 2019
L’exposition de la Fondation Beyeler
Oui, la peinture est aussi une posture de combattant.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Cher peintre, peintures figuratives depuis l’ultime Picabia, Centre Pompidou, Paris, 2002
– Urgent Painting, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2002
– « Où est passée la peinture », Art Press hors-série, 1995
– Art contemporain, la collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, 2007
– Bertrand Lavier, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 2002
– Christian Besson, Yan Pei Ming, Hazan, Paris, 2000.
 Sigmar Polke, Carré d’art Musée d’art contemporain, Nîmes, 1994
– Gerhard Richter, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1993

Article sur Fixeur.org : Peut-on comprendre l’art abstrait comme une langue?

et CHRISTIAN BOBIN, PIERRE,GALLIMARD 2019

Anthunes_L’exposition d’automne de la Fondation Beyeler

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