J’ai toujours eu une grande difficulté à expliquer pourquoi la vie dans un pays gouverné par les communistes avec une économie collectiviste et planifiée était invivable et irrespirable. Les occidentaux faisaient l’allusion aux magasins vides, à la pénurie, aux queues devant les magasins aux étalages poussiéreux, à nos habits mal taillés, aux chaussures en faux cuir plastique ou au mieux à la censure culturelle et intellectuelle. Des choses qui sont visibles et que l’on comprend facilement. Certains imaginaient même que nous trouvions nos tenues belles, c’était ça le goût de l’est. D’autres me faisaient la remarque que « tout de même », les gens étaient soignés, éduqués et n’avaient pas faim et surtout qu’on ne connaissait pas le chômage. J’ai fini par ne plus évoquer le sujet.
Il n’est pas si difficile de s’adapter à une consommation matérielle à choix réduit. On peut vivre avec une seule sorte de café, de pain, de confiture, peu de viande, un choix limité de produits, car la consommation ne fait pas le bonheur. C’est juste plus agréable de pouvoir choisir et c’est pénible de dépenser une énergie folle dans l’achat d’un simple rouleau de PQ. Quand presque tout le monde est habillé dans les mêmes vêtements mal coupés synthétiques, on se fait plaisir autrement…parfois, au marché noir. Et effectivement, on n’avait jamais faim.
Non, la véritable difficulté est dans cette immense tristesse, grisaille, vie terne, sans couleur, sans espoir, sans désir, sans ambition, sans pouvoir décider, sans pouvoir décoller, sans pouvoir même rêver…quand on ne peut que suivre et faire ce qu’on vous dit de faire.
Cet égalitarisme total, où tout est pareil, tout est petit, tout est minable, médiocre et moche où tout le monde reçoit la même chose, juste de quoi vivre pour se tenir tranquille. Ce monde terne conduit à une déprime mentale et à la disparition progressive de toute énergie vitale.
Ceci convient toutefois à une partie de la population qui ne sait jamais quoi faire face aux nombreux choix. La liberté peut être aussi une source d’angoisse pour une grande partie des gens qui n’en demandent pas tant. Ils privilégient la sécurité. Mais c’est un cauchemar pour ceux qui cherchent à donner un autre sens à leur vie que de vivoter, pour ceux qui aiment créer et prendre les risques.
Notre voisin se levait à 4 heures du matin pour aller travailler dans son usine, puis rentrait au bout de 7 heures, il allait faire la queue pour acheter les produits disponibles du jour, mangeait, allait boire sa bière au bistrot avec les amis pour regarder un match de sport. Je pense qu’il a été heureux, il rigolait quand il parlait de la camelote qu’il produisait chaque jour dans son usine. Il savait qu’il aura toujours sa paie, quelle importance. De temps en temps, il travaillait au noir comme peintre pour se faire un petit plus.
Mon père dépérissait, il changeait de travail en permanence en cherchant désespérément un emploi où il se serait un peu autonome, où il se sentirait vivant. Il était progressivement de plus en plus solitaire, il ne supportait plus de fréquenter les benêts dociles qui lui dictaient quoi faire. Il est devenu d’abord chauffeur de taxi pendant la nuit, car il était au moins seul au volant, une autre fois il a même été chauffagiste, pour être seul toute la journée devant les manettes d’un chauffage collectif dans une cave, pour finalement perdre définitivement sa santé et finir en statut d’invalide.
Pourquoi ce type de gouvernance, malgré les bonnes intentions finit mal ?
Voyons le discours de Mélenchon et de le Pen qui surfent sur les problèmes de la dérive capitaliste actuelle.
Je lis derrière leurs beaux mots et une rhétorique bien structurée la vérité qu’ils expriment en sourdine. Leurs mots préférés sont violents : « le pillage, étranglement, dégoût, captation ». Ils définissent ainsi les cibles à abattre ouvertement « malhonnêtes », les cibles « à punir ». Ce discours de haine de classe, violemment anticapitaliste est vieux comme le capitalisme, rien de nouveau.
Le problème est qu’ils confondent le libéralisme débridé et non régulé et l’économie libre.
Au nom de la liberté individuelle l’homme ne peut pas tout faire: voler, tuer, mentir, écraser son prochain…Même dans une société démocratique avec population éduquée, il faut une police et des juges et l’armée. Evidemment, pour l’économie libre, c’est la même chose. La dérégulation financière actuelle et économique est une catastrophe. L’incapacité de l’Europe à bâtir l’Europe sociale est un autre échec, le dumping fiscale une honte. La peur de défendre notre culture européenne et notre vision de la laïcité sur nos terres est une faiblesse idiote d’une élite bien-pensante que je trouve très pénible et molle.
Mais de là à imaginer que la solution est dans le remplacement de la liberté d’entreprendre par la planification et l’interventionnisme massif de l’Etat, il y un grand pas.
Combattre le risque que représente l’économie libre, c’est combattre l’aléa de la vie économique et les risques inhérents à cette liberté. Le seul moyen de supprimer tout risque (quand on refuse une régulation sociale et bloque les réformes), c’est d’installer un contrôle économique sévère par des instances élues sur ce qu’on produit et la manière de produire. En d’autres termes le contrôle du capital par « l’administration » de l’Etat ou des instances collectives (de type instances populaires). C’est donc au final un regard dirigiste, autoritaire de la production, des outils de production et les ressources humaines.
L’Etat se trompe en planifiant, mais il ne peut pas revenir sur son erreur. Si l’usine à la Ferté produit les petits pois trop cher ou rabougri, car la terre n’est pas bonne, personne les achètera. Mais l’entreprise installée pour nourrir les Fertois ne pourra pas faire faillite.
L’Etat décidera donc d’acheter les pois et de les vendre partout en France pas cher. Il éliminera les autres petits pois d’importation. L’usine à la Ferté pourra continuer à payer les gens du coin.
L’Etat comme les Fertois ne réussiront pas à exporter les petits pois rabougris, trop cher, personne n’en voudra. Il n’aura pas donc l’argent pour importer d’autres produits, ni les matières premières.
Quand l’usine des petits pois aura besoin des pelles, il faudra les faire en plastique, car on sait produire dans une autre Ferté le plastique, mais on a plus le fer, ni le moyen de l’acheter…La pelle se casse, il faut apprendre à faire avec les pelles qui cassent…On a rempli l’objectif de faire manger les habitants des deux Fertés grâce aux pelles plastiques échangées contre les petits pois rabougris…Le gouvernement se félicite.
Il promet de faire encore mieux la prochaine fois. On ouvrira les disciplines universitaires pour les chimistes pour améliorer la qualité de plastique et on leur donnera un poste de recherche dans la Ferté. Mais comme on n’aura pas d’argent, la recherche se fera comme en 1800 avec un cahier et un crayon. Le chercheur travaillera pour un travail de l’ouvrier+10%. Il préférera souvent faire son potager ou jouer à la flûte que de faire la recherche sans matériel adéquat…sauf s’il trouve un moyen d’émigrer pour retrouver sa motivation.
Ce qu’on n’anticipe jamais, c’est ce mécanisme infernal qui implique obligatoirement la fin des choix et de la liberté individuelle.
C’est exactement la solution telle que j’ai vu faire, secteur par secteur jusqu’à l’effondrement total de toute énergie vitale de la société vers ce marécage médiocre et gris universel où on avance comme des moutons là, où l’Etat nous dit d’aller pour produire de la camelote médiocre. Pour faire un métier qu’on déteste, dans un endroit qu’on aime pas. Avec un minimum d’effort, car personne n’ a de toute façon plus, s’il travaille mieux que le voisin. Il est suspect de vouloir plus que le voisin.
Kafka est partout.
Ceux qui ne sont pas heureux ne peuvent pas le dire, car on affiche partout le succès des usines des Fertés qui font manger les Fertois.
On finit de museler ceux qui ne veulent pas accepter que les pelles cassent après deux utilisations. Pour les « protéger » des mauvaises influences, on ferme la frontière et élimine la presse libre qui ne ferait que démoraliser inutilement les gens… La bière n’est pas chère et on est incité à pratiquer les sports collectifs.
La monnaie dévaluée devient une monnaie de singe, ce qui empêche les gens de bouger. Le manque de devise oblige à instaurer l’échange minimum obligatoire où on ferme la frontière.
Cette « espérance humaniste » comme l’appelle Mélenchon a été mise en place il n’y a pas si longtemps au Venezuela. Venezuela aujourd’hui c’est la disparition totale de la démocratie, l’alimentation rationnée, camions de nourriture escortés par l’armée, les citoyens fuyants par millions, l’opposition de plus en plus muselée.
La première bonne nouvelle : il n’y a pas beaucoup d’immigrés en Russie ou au Venezuela. Voilà une chose au moins réglée, pas la peine de se soucier de l’immigration.
La seconde bonne nouvelle, nous feront partie de l’alliance bolivarienne Alba avec les observateurs amis russes et syriens et les membres comme le Venezuela, le Cuba, la Bolivie et le Nicaragua. Je vais enfin pouvoir retrouver le goût des produits exotiques de mon enfance, les bananes de Nicaragua et le sucre de canne cubain qu’on trouvait toujours dans le magasin dans ma rue…
Je vous avertis, le communiste planifie toujours très mal la production de l’ail et du PQ. Ce vampire optimiste a sans doute peur de l’ail et refuse de voir quand le pays marche dans la crotte jusqu’aux genoux.