Pour ce vendredi, je dois écrire un paragraphe du point de vue de la pierre, d’un fossile, d’un végétal… C’est un exercice de style pour préparer mon cours de peinture poétique. Je tergiverse et je glande. Tiens, je vais choisir d’écrire comme un gland.
Écrire n’est pas évident.
Pour écrire en français qui n’est pas ma langue maternelle, il n’y a qu’un tout petit pas vers l’autoflagellation. La peur de faire des fautes et maladresses se transforme vite en blocage. La peur d’être pris pour un être inculte. Mon ego en prend pour son grade. C’est aussi logique. Écrire est la projection de soi dans un langage, comme nous pouvons nous projeter en langage corporel, oral ou encore pictural.
Toutefois, il y a une grande différence entre l’écriture et l’expression orale. L’écriture ou même la peinture sont les langages différés. Parler, c’est l’expression instantanée et continue de soi et nous avons souvent peu de temps à nous analyser ‘parler’. Les autres, les récepteurs nous renvoient de manière instantanée, diffuse et imprévisible l’idée de ce qu’on est.
L’écriture, c’est une communication qui est renvoyée dans un premier temps à nous même. Ce résultat de notre ‘encodage’ écrit de nos pensées nous semble vite simplifié, caricaturé et imparfait. Et puis, le temps de coucher un paragraphe sur la feuille, nous avons déjà parfois évolué dans notre réflexion.
À ce stade, notre communication est remplie d’incertitude et d’identité confuse. Or, on ne peut construire son identité qu’avec les autres et par rapport aux autres. L’écriture est donc une potentialité de réaction et de perception des autres. Écrire est un moyen de se rattacher à l’humanité de manière réelle ou imaginaire. Et aussi d’être jugé. Il faut un certain courage pour s’exprimer de manière différée.
C’est sans doute pour cela que je n’aime pas montrer mes peintures et que je n’ai pas publié mes nombreux écrits. Sauf sur Facebook où tout est enseveli sous une telle masse imbécillités que cela ne compte pas vraiment.
Pendant de nombreuses années, j’ai passé des heures à ‘écrire’ dans ma tête des histoires et de véritables séries Netflix sans jamais rien coucher sur le papier.
Je suis devenue experte en écriture silencieuse lors d’un trajet en bus, en train, en cuisinant. Comme dans un monde parallèle, partout où je pouvais fonctionner en mode automatique, j’ai pratiqué le rêve éveillé où je pouvais inventer un monde imaginaire. Quelle liberté de pouvoir façonner la réalité selon ses désirs en toute vitesse. Ce n’est pas la vraie vie qui permet un tel exercice de pouvoir quasi divin.
Pour oser une trace, j’ai mes trucs.
Peinture et écriture automatique et par association est ma solution pour se lancer. J’oublie la règle, je gribouille, je fais des taches, j’écris au kilomètre. Je note en vrac les idées qui se bousculent et contredisent. Elles dérivent au gré des analogies. Cela dérouille mon mécanisme cérébral et ma main. J’ai toujours souffert de la lenteur de ma main par rapport à la pensée. Je peux donc ‘tricher’ et aller plus vite en oubliant la mise en forme et toutes les règles. Je déteste de ‘faire un plan’ ou anticiper une composition. L’angoisse !
Puis, je prends du recul. Car peindre ou écrire est aussi une série de choix intentionnels. On revient à une séquence consciente, on recentre, recadre, termine. Ou pas, si cela est bon pour la poubelle. Je jette énormément et sans regret. Parfois, il est inutile de se relire, car une idée claire surgit de ce capharnaüm.
Je viens de terminer le texte sur la difficulté d’écrire juste après mon « devoir »d’écrire comme ‘un végétal ou un minéral’. J’ai choisi le gland qui m’a amené à réfléchir sur mon blocage puéril devant l’exercice.
« Je suis né au mois de mai, dans un grand chêne, quand les bourgeons se réveillaient. Tout petit et vert comme les feuilles, personne ne me remarquait… »
Un jour, un fabricant de cartes à jouer est passé par là. Et je suis devenu célèbre.
Puis, tout s’est accéléré et je devins non seulement un fruit du chêne et une enseigne de carte à jouer, mais aussi une pâtisserie, une finition de décoration, une commune suisse du canton de Vaud, une commune française de l’Aisne et de l’Yonne, une partie du pénis et du clitoris, une rivière française, affluent de l’Oise, affluent du Rhône et même un affluent du Doubs.
Je dis que personne ne me remarquait et pourtant je suis devenu un gland célèbre. »
source : mon stylo
Explication : Les cartes agermaniques ( Schnapskarten ) ont les insignes incluant le gland (Eichel), feuille, coeur et grelot. En France, les signes de cartes sont différentes (pique, cœur, carreau, trèfle).