Je clôture un cycle de ma vie. C’est comme fermer un cercle.
Les Amérindiens voient le temps circulaire. J’ai fait ce que je voulais réaliser et le reste de ma vie sera une sorte de bonus. La dernière étape du cercle consistait à faire table rase des mythes de l’enfance.
Petite fille, j’ai adoré le héros indien Vinnetou. Une image collée sur mon bureau d’écolier de ce guerrier taiseux, courageux et astucieux me servait de modèle. Vinnetou combattait des blancs qui tuaient les bisons et volaient sa terre. Son histoire a été mise à l’écran en plusieurs films. Conçu comme une propagande antiaméricaine, en réalité, cette série a raisonné dans mon pays surtout pour un symbole de résistance désespérée des petits contre les envahisseurs trop nombreux.
En effet, un peuple de 5 millions d’habitants était soumis par une nation russe de plus de 140 millions d’occupants qui imposaient sa culture si supérieure et ruinaient notre économie. Moi aussi, je devais me taire souvent, ne jamais ouvertement exposer les paroles de mes parents en dehors de la maison et apprendre à feinter. Nous étions indiens, j’avais déterré la hache de guerre et adopté les postures autochtones comme une religion.
Il n’est pas surprenant que j’aie toujours rêvé d’aller me balader sur les sols des Indiens des Plaines, des Lakotas (Cheyennes ou Sioux), les plus braves dans ma vision idyllique des chasseurs de bison nomade sur leurs mustangs. J’ai détesté des Crows qui ont collaboré avec le Général Custer en pistant pour son armée. Quel acte de soumission et d’abandon des siens pour le whisky (équivalent de la vodka dans ma logique) et des perles brillantes (équivalent de Gucci porté avec les Adidas des nouveaux riches russes de la Riviera). Dans ma vision analogique du monde, les Crows étaient des Tchèques qui prenaient la carte de parti pour pouvoir accéder aux magasins de la nomenclature et d’autres passe-droits.
Tout ceci m’a fait aussi comprendre que remporter une bataille ne signifie pas de gagner une guerre. Vinnetou fut un héros pathétique qui meurt en fin de série.
Si les enfants ont souvent des référents, des modèles, mon guide spirituel était donc un combattant pour les causes perdues d’avance. Ni un héros, ni un antihéros, mais un idole tragique. Quel fardeau !
Quelques années plus tard.
Pour mes soixante ans, ma tribu s’est collectée pour m’offrir un balade aux États-Unis dans les régions les plus paumées des États-Unis : Dakota du Nord, Dakota du Sud, Wyoming, Montana, Idaho, Utah. Le Covid a retardé le projet, mais cette année me voilà sur mon chemin de Compostelle animiste dans l’idée de mettre les points sur les i. Ce qui est logique lorsqu’on va se balader dans les réserves d’Indiens.
Le point culminant de mon voyage, une fois terminé le tour des musées remplis d’artefacts à plume, était le site de Little Big Horne et le symbole de la défaite du général Custer. Une sorte de Poutine du 19e siècle dans ma représentation analogique du mal.
La culture nomade et orale se caractérise par des vestiges sous forme de colifichet en perle et en plume sur une peau de bison. Ensuite, on peut lire d’innombrables panneaux explicatifs pour comprendre où se situaient les traces en anneau des tipis sur les prairies dans les bleds les plus paumés. Encore que, pour observer les ronds, il faut survoler le site en hélicoptère.
Les réserves indiennes sont généralement des terres arides, incultivables, sinon elles seraient dans les mains des cowboys et « farmers ». On y découvre des cabanes délabrées, des motor-homes éparpillés (la version du 21e siècle du tipi), de multiples épaves de véhicules, parfois des casinos et souvent rien du tout. J’ai tout de même trouvé le mémorial de Sitting Bull pour faire un selfie dans la réserve des Sioux.
En dehors des réserves, le voyage m’a permis de faire le plongeon dans le trumpisme radical.
À l’image de ce patron de « diner » au bord d’une nationale dans le Wyoming. Le chapeau de cowboy visé sur les yeux, un revolver accroché à sa ceinture bien en vue, il me versa un Coca sur les glaçons pour un dollar. Je bois au comptoir à côté de deux fusils automatiques à vendre ou à tester et une pile de cartouches. Je regarde en face une affiche pro-Trump et lis une plaisanterie sur une plaque métallique : « Ici, on n’aime pas la bière chaude, les femmes froides et les trous du c. »
La serveuse clignote avec des fausses cilles de 3 centimètres et rit fort à une blague d’un autre accoudé. Le patron s’adresse à moi dans son Wyoming-English avec trois patates dans la bouche. Je réponds au hasard : « Yah ». Il s’éloigne, perplexe. Il a sans doute demandé d’où je venais. Yah, un drôle de pays.
True conservative.
Ensuite, j’ai dormi chez Peggy qui est une ‘true conservative’. Je le pense, car elle a mis en évidence sur son gazon plusieurs affichettes et banderoles pour expliquer comment voter. C’est ainsi que j’ai pu répertorier les «true conservative » dans le Wyoming. J’ai eu aussi droit à un drapeau américain planté dans un pot de fleurs à côté du barbecue sur la terrasse de ma chambre. C’est utile pour savoir où on se trouve au réveil.
Peggy m’a apporté un gâteau “home made”. Le petit roulé adouci avec sa couche du sucre pâteux tout autour. En grattant le fondant, il reste encore assez de sucre pour le reste de mon voyage. Avec mon café translucide beige, j’ai dégusté le sucre avec le , tout en déchiffrant la décoration sur le mur. Car, chez Peggy, le décor mural se lisait. Il y avait des messages comme : « Life’s good », « God bless you « et d’autres conseils importants.
J’ai essayé de trouver un grain de poussière dans la maison de Peggy, je n’ai pas réussi. C’est sans doute cela d’être un « true conservative ». Conserver toute chose dans son état initial juste sorti de l’emballage. Du coup, après avoir fait exploser les flocons d’avoine dans le micro-ondes, j’ai laissé une trace sur l’éponge du lavabo et je me sentais un peu indigne.
Le matin, Peggy est arrivée en courant avec une mine désolée et en s’excusant : « I am so sorry ! » Ce jour-là, le vent soufflait trop fort. Peggy pensait pouvoir commander le temps dans son jardin et elle a lamentablement échoué. Elle avait l’air sincèrement coupable. Je me disais du coup, tant pis pour l’éponge usée. Nous sommes quittes.
Dear Peggy, what a lovely place! Everything is so gorgeous!
Je progresse après «Yah ».
La Peggy suivante a été bien plus trash.
Comme j’ai longuement expliqué au début de mon récit, mon but n’était pas à l’origine de me réconcilier avec des trumpistes, mais plutôt avec le peuple Crow, puisque la colline de Little Big Horse se trouve dans leur réserve. C’est évidemment injuste, car Custer a été battu par les Sioux et les Cheyennes, mais sur les terres des Crows où se situe le mémorial.
J’ai décidé donc de planter ma tente sur l’emplacement de camping de Peggy White Welknown Buffalo sur la réserve Crow. Une place de campement avec toutes les commodités coûte entre 35-40 dollars, chez Peggy il faut débourser 70 dollars, car ce n’est pas un camping ordinaire, c’est un lieu d’expérience. Peggy semble être un personnage important localement, elle anime The Center Pole, une association philanthropique de la communauté Crow. Je craque et je règle 70 dollars par Paypal en lisant le descriptif :
« Extraordinary opportunity to experience the Crow culture and learn the Native perspective of the Battle of the Little Big Horn. We are family friendly and welcome elders!
Learn the spiritual meaning and healing properties of the tipi and how we do horse medicine. »
Expérience immersive.
Après un long trajet dans les plaines, je découvre un terrain grillagé en bordure d’une route régionale à deux voies et d’un chemin de fer où circulent d’interminables trains de marchandises américains chargés de charbon. L’animation après les plaines vides est rapidement assez envahissante.
Les instructions de réservation parlent d’un signe de bison sur la porte où on peut récupérer une clé, mais je trouve simplement une clôture avec un cadenas fermé. Et comme le téléphone marche au mieux avec une barre, je mets un certain temps pour parvenir à adresser au moins un e-mail sur le site de location qui m’a vendu le séjour, car je n’ai pas non plus le numéro du grelot de Peggy Buffalo.
Après une petite attente, deux jeunes arrivent encore mouillés de la rivière avec deux chiens molosses pour déverrouiller la barrière et me montrent avec un air refrogné un emplacement contre le grillage marqué par un piquet : c’est là-bas. OK. Peggy est visiblement à la chasse au bison. Je me sens comme un pigeon blanc déplumé.
Comment décrire gentiment l’espace de ce camping éclectique ?
Un bar fermé (qui « peut-être » ouvre à 22 heures), des cabanes, des granges, des manèges, des mobile homes vides, un tipi délabré avec un cadre de lit rouillé et quelques indispensables carcasses de véhicules. Tout semble à moitié fermé et à moitié abandonné.
Dans un des bâtiments en se frayant le chemin entre le linge sale et des ballots d’objets indéterminés, il y a des sanitaires, je crains destiner également aux visiteurs du bistro.
Je fais connaissance avec les deux molosses dont un se met à me mordiller les mollets. J’aime des chiens, mais là, je ne suis pas très contente.
Comme les chevaux fréquentent aussi le coin vu la contribution à l’engrais du sol à l’endroit où je peux planter ma tente, je finis par me dire que qu’il est temps de dévier de ma trajectoire. Clairement, ce lieu n’est pas fréquentable et ne correspond absolument pas aux informations reçues.
Je trouve à 50 miles un motel comme dans les films d’horreur au bord de la route pour 60 dollars dont la chambre sent fort le désinfectant. Le matin, j’ai une sorte d’éruption sur les avant-bras, sans doute la couverture qui piquait. La nuit à 130 dollars bien méritée pour ma bêtise.
Avant de partir de cette charmante ville de 2 habitants, je visite la tombe de Général Custer et le lieu de sa mort.
Je réalise sur cette colline, que grâce à Peggy Welknown Buffalo, je me libère d’un poids de devoir combattre pour les causes perdues.
C’est comme une confession ? Le cercle est en tout cas bien fermé et mon mythe est enseveli à côté du ‘Révérend Custer’.
Retour en France et vers le WIFI qui marche.
Je fais une petite recherche sur ce lieu magique et je découvre qu’en 2021, un certain White a agressé sexuellement au moins 13 filles dans la réserve indienne de Crow au domicile de sa mère adoptive Peggy White Wellknown Buffalo à Garryowen dans le Montana.
La maison de Peggy White Wellknown Buffalo se trouve à l’emplacement du Center Pole, une organisation à but non lucratif. Le Centre a toujours eu des enfants, y compris des enfants placés par Peggy. Cela a dû être un coup dur pour l’organisation.
Puis, je lis plus loin : Peggy et sa compagne, Susan Kelly, étaient également accusées au pénal de faciliter et de dissimuler les agressions de White. Cependant, en raison de la maladie mentale, White a été jugé incompétent pour subir son procès et, par conséquent, Peggy White et Susan Kelly n’ont pas pu être poursuivies pour leurs crimes présumés.
Il faut savoir que Peggy et Susie ont reçu selon leur site Internet en ligne un prix de compassion du Dalaï Lama !
La Directrice du Center Pole, autrement dit son Executive Director Peggy Wellknown Buffalo a disparu donc des environs, mais pas les anciens sites Internet racontant la gloire passée du lieu . Elle n’a pas pu m’accueillir à mon arrivée. Je me demande pourquoi.
Ah, je suis une championne pour dénicher les personnes rares.
Le voyage forme la jeunesse, mais aussi des vieux.
1. Dans toutes les cultures, il y a des personnes pas fréquentables.
2. Rien ne sert à excuser les gens malhonnêtes, il faut les éviter.
3. Essayer d’enterrer la hache de guerre avec un traître n’engendre rien de positif. On y perd son âme ou ses économies.
Je refuse de me réconcilier avec les Crows !