Comment surgit une inspiration dans la recherche artistique ?

Je m’interroge encore sur cette envie qui me saisit de m’emparer d’un sujet, de le triturer, de le décortiquer, désosser, puis reconstruire à façon, avant de le ré-accoucher sous une forme de peinture ou d’un texte.  J’observe désormais avec la distance nécessaire ce processus créatif personnel qui se répète par séquence.

Etape par étape, du début de l’idée, passant par le doute, l’apprentissage, l’appropriation, l’élargissement , la perte de repères, à l’accouchement avec plus ou moins de douleur selon les jours et les sujets abordés.

En ce qui me concerne, j’observe des périodes de longue maturation, de compilation fébrile d’inspiration et une période de production plus courte qui me vide de toute l’énergie.

L’histoire du rhizome

J’ai noté la démarche autour de mon dernier sujet ‘le Rhizome’. C’est instructif et parfois drôle de s’observer avec recul, successivement en larmes, hyper concentrée, vexée ou encore contente… Un concentré d’émotions et de cheminement autour d’une idée qui semblait au début incongrue.

Depuis un certain temps, je me suis pris de passion pour le rhizome. Ce type de racine est un sujet botanique tout à fait intéressant, mais surtout une métaphore d’organisation et un concept de représentation.
Au fil de mes lectures et recherches, le sujet s’est élargi de manière considérable.

Rhizome, un dialogue entre la nature et la technologie

Les artistes ont longtemps cherché à représenter la beauté de la nature. Ils cherchent aujourd’hui à la préserver et lui rendre sa liberté, la magnifier, la fusionner avec l’art en s’opposant aux attentats écologiques industriels.

Le domaine de Chaumont-sur-Loire invite ainsi depuis des années les artistes à dialoguer avec la nature. Une grande fondation contemporaine comme Cartier propose cet été une exposition consacrée aux arbres, en novembre dernier, le Centre Pompidou s’interrogeait lors d’un forum sur la transition écologique. Le Beaux-Arts magazine N°420 est consacré aux jardins d’artistes, aux rencontres entre la nature et l’art.

Néanmoins, les auteurs opposent fréquemment la technologie et la nature, imaginant un scénario catastrophiste d’une nature devenue entièrement artificielle aux espaces verts ultra rationalisés, en matière synthétique. La technologie, l’informatique, l’internet est perçu comme hostile à la nature, présenté en opposition.

Or, la société actuelle, globalisée, communicante, interconnectée et horizontale a emprunté beaucoup d’intelligence à la nature. D’une certaine façon, elle se rapproche des systèmes naturels organisés pour survivre dans les environnements hostiles.

Notre monde devient de plus en plus rhizomique.

Depuis un certain temps, je regarde avec fascination des images produites par les passionnées de données. On parle de « visual data presentation », de l’art « nerd », de digital art.

Ce qui est fascinant, n’est pas l’usage d’un média informatique pour produire une image. Ceci n’a rien d’original. Ce qui est étonnant est de voir des objets nouveaux, des représentations du monde totalement nouvelles et pourtant réelles qui surgissent à partir des traitements de masse de données .

La prise de conscience de cette réelle création ou créativité m’a sauté au visage en découvrant les images des traînées d’avion, vu du ciel et pas de la terre de l’artiste digital James Bridle.

Peindre un rhizôme? Pourquoi faire ?

Comment rendre ce sujet intéressant ?

je pourrais le traiter comme des « pronkstilleven », ces natures mortes flamandes d’apparat et ostentatoires, dans le style de Willem Kalf (1619-1693). Les éléments de la nature y avaient une connotation symbolique, le homard symbolisant l’instabilité et l’inconstance morale, car il se déplace à reculons attaqué. Le citron représente l’écoulement du temps, son écorce pelée en spirale évoque l’existence au cours de laquelle on se libère de la matérialité pour accéder au spirituel.  Les éléments de la nature invitent à la méditation et à la réflexion.

Ah, les planches botanique?

Nous pouvons imaginer une planche botanique avec les indications et explications, un dessin qui propose d’approfondir nos connaissances et coller à la réalité botanique visible. On peut même redescendre d’un niveau, à la cellule. Il y a un grand nombre d’artistes qui ont se sont consacrés à l’art végétal ou au dessin botanique: Ahaki, Yamanaka, Woodin, Quinn, Haevermans, William Sharp, Bigelow, Berni, etc.

On peut vouloir s’emparer aussi du rhizome pour traduire cette obsession de greffes, d’hybridation, de résistance et de singularité des structures où toutes les folies visuelles sont possibles.

Car, une soif de vivre caractérise le rhizome alors parfaitement. Voilà sans doute ce qui m’attira?

Il y a également toute l’histoire de la philosophie française des années 60-70 qui s’empara du rhizome pour rejeter la vision hiérarchique de la société.

Il y a en réalité de nombreuses manières d’approcher ce « sujet » et cet « objet ».

Mon idée initiale a été d’intégrer le vivant non humain au vivant naturel. Une sorte d’art de vivre ensemble entre le monde numérique et la nature. Comme une nécessité de trouver la solution pour vivre en bonne intelligence et en synergie entre le monde numérique et le monde végétal. J’aime l’informatique, le monde numérique et j’aime aussi la nature.

Le rhizome est en réalité une très belle métaphore de la société actuelle qui se restructure pour survivre et s’adapter aux nouvelles conditions. Elles seront sans doute difficiles, mais conduisent aussi aux métissages, aux mutations et favorisent la circulation des espèces, des idées et des hommes.

Ce que je subodore, c’est que l’organisation rhizomique du monde, comme celle de l’Internet, est sans doute un moyen de survivre et de s’adapter au futur.

Mais avant de trouver comment articuler ce sujet en peinture, j’ai poursuivi mon exploration rhizomique, partant d’une racine à une autre, d’une idée à une autre. Dans un relatif chaos apparent que caractérise aussi le rhizôme. Une pensée rhizomique fonctionne par association et en chemins parallèles. Un chaos foisonnant comme ma façon de penser et souvent de s’exprimer.

Les associations d’idées

J’ai pris un cahier de notes et j’ai commencé par écrire une liste de mots qui me viennent spontanément à l’esprit en pensant au mot rhizome. Car au début, ce mot m’est venu en pensant au lien entre le réseau informatique et la nature . Mais, je me dis que sans doute, cette inspiration n’est pas venue par hasard.

Voici la liste des mots notés. D’abord la colonne « le rhizôme c’est : » et puis la seconde colonne, « le rhizôme n’est pas… ».
Le Rhizome , c’est :
enracinement, déracinement,  accrochage, arrachage, réseau, connexion, communication, organisation, pénétration, tentacule, s’arracher, informatique , lieu, survie, cellule, morde, jardin, stabilité, viabilité, ruse, force, cerveau, nerveuse, irrigation, invisible, résurgence, régénération, maison, profondeur, terre, ramification, origine, ligne, géométrie, sinueux, carte, terre de sienne, noir, complexe, rouge, orange, agile, en mouvement.

Le Rhizome n’est pas :

Tubercule, facile à arracher, facile à déraciner, statique, facile à détruire, stable, superficiel, introverti, silencieux, visible, boule, carré, rectangle, doux, duveteux, rigide, simple, lisible, facile, naïf.

Et voilà que petit à petit surgissent des thèmes qui sont un peu plus cachés, mais bien plus logiques derrière cette idée à priori saugrenue et ‘sans intérêt’ pour mon nouveau thème de création artistique.

Etape de l’exploration tout azimut.

Commence alors ma période de lecture et de prise de notes sur toute information ou publication se rapportant à mon thème. Et plus j’avançais, plus il y avait du « rhizome » partout autour de moi.

Le rhizome est la tige souterraine et parfois subaquatique remplie de réserve alimentaire (ex : chez Iris pseudacorus) de certaines plantes vivaces. WIKI

D’emblée , on remarque que rhizome est doté d’une réserve pour la survie !

Voilà un thème qui m’est cher. Je pense qu’on m’a inculqué un solide sens de survie en me rappelant sans cesse à quel point mes racines familiales ont été arrachées et brûlées, extirpées violemment de la terre. Mes grands-parents et parents ont dû fabriquer une stratégie de survie dans les régimes fascistes et communistes. C’est donc aussi une histoire des familles de l’Europe centrale qui a vu passer des curieux jardiniers voulant domestiquer notre culture slave et familiale. On n’arrache pas si facilement un rhizome. Il est en effet souvent associé dans la tête du jardinier à une mauvaise herbe intruse, inspirant le rejet du cultivateur rationnel.

La plante rebelle !

Il existent même des plantes rhizomiques qu’on ne peut pas adapter à un environnement pépère et cultivé comme le jardin. Les oyats, le chiendent de la mer, la plante qui consolide des dunes a besoin du vent, être en mouvement , pour survivre.

Les plantes avec une racine rhizomique sont souvent des plantes indésirables chez les jardiniers ordonnés. Elles symbolisent une végétation qu’aucun filet ne peut domestiquer. Le Rhizome raconte l’histoire de territoire et de frontières, le nationalisme contrarié et sans doute, en se qui me concerne, la problématique liée à l’exode. Éminemment métaphysique, ces « mauvaises plantes » produisent pourtant aussi des fleurs magnifiques, mais sans la main de l’homme jardinier ou malgré l’homme.

 Le rhizome est pourtant utile et travailleur !

En réalité , il travaille dur. Il ne reste pas tranquille comme un bulbe à se nourrir de son héritage sans partager son énergie. Son but est de créer de nouvelles excroissances. Wiki nous explique :

  • Comme les racines, le rhizome contribue au dé-colmatage naturel du sol, voire à la fixation et stabilisation durable des berges ou de certaines zones vaseuses (par les iris et roseaux par exemple) ou des dunes (par les rhizomes d’oyats par exemple).
  • Il nourrit certaines espèces souterraines capables de le consommer. S’il meurt, il enrichit le sol en matière organique.
  • Il contribue au dé-colmatage des sols et sédiments superficiels, et donc à leur aération. (Desaubry, 2012) (Rapoport & Bériel, 2012)
Etymologie de rhizome ne m’apprend rien de très original.

Le mot vient du grec ῥίζωμα qui veut dire « touffe de racines », de ῥίζα [riza], la racine. WIKI.

Personnellement, je suis encore plus à l’aise avec des racines rhizomiques sachant que je m’arrête à mon grand-père au maximum pour connaître ma généalogie…

Il ne faut pas toutefois confondre le rhizôme avec un simple tubercule, les apparences sont trompeuses !

Le rhizome est un organe végétal souterrain, tout comme Racine,  Radicelle,  Radicule, Tubercule mais qui diffère sensiblement d’une racine et du tubercule par :

  • sa relative horizontalité (qui peut être contrainte par la texture du sol, la présence de roches, la pente et une éventuelle instabilité du sol, etc.);
  • 2. sa structure interne (il s’agit souvent d’un organe de réserve stockant par exemple de l’amidon ou de l’inuline);

et en ce qu’il porte des feuilles réduites à des écailles, des nœuds et des bourgeons, qui produisent des tiges aériennes et des racines adventives. Quand il est séparé de sa plante d’origine, le rhizome devient une propagule potentielle.
(source WIKI)

Le rhizome en tant que ‘propagule potentielle’, voilà ce qui réveille mon intérêt !

Le rhizome est un champion de survie et un nomade colonisateur. Voilà ce qui m’a sans doute inconsciemment rapproché du rhizome, je suis nomade aussi et d’une certaine façon une plante envahissante qui s’adapte à tout nouvel environnement, comme tout exilé.

Le rhizome a une fonction de réserve d’énergie et souvent joue le rôle de source de propagules.

Le rhizome peut dans certains cas s’enfoncer profondément dans le sol et se ramifier considérablement et permettre ainsi la multiplication végétative de la plante, qui peut devenir proliférante ou traçante; c’est le cas par exemple du chiendent ou de l’iris.

Certaines plantes rhizomateuses creuses et à croissance rapide telles que des bambous ou certaines espèces de renouées (Renouée du JaponRenouée de Sakkalinerenouée à épis nombreux) sont ainsi très favorisées et peuvent devenir invasives. Dans ces derniers cas, le transport de terre contenant des morceaux de rhizome, ou le transport et l’abandon dans la nature de morceaux de rhizomes sont sources de noyaux de nouvelles colonisations en taches parfois denses. (WIKI)


Capacité de défense du rhizome

Un peut parfois manger le rhizome, mais il faut respecter sa capacité et son besoin d’autodéfense.
Mais au fond , un rhizome n’est pas si méchant qu’on puisse imaginer. Il faut juste savoir le prendre.

Wiki explique :

Certains rhizomes épaissis sont comestibles, par exemple le gingembre,le manioc,la conflore,le galanga,certaines fougères,l’asperge,le roseau à massette (quenouille ou Typha latifolia L.) en Amérique du Nord1,le Ményanthe (Menyanthes trifoliata), est toxique au-delà d’une certaine dose, mais les Inuits en faisaient toutefois de la farine.
Souvent les rhizomes contiennent des substances toxiques les protégeant des prédateurs de la plante. Certaines de ces substances sont lessivables une fois le rhizome broyé, ou perdent leur toxicité à la cuisson (par exemple le manioc).Certains rhizomes sont utilisés pour des cultures très particulières, telle que la chicorée, blanchie par l’absence de lumière, dite chicon ou endive.

Dans le livre de Stephano Mancuso L’intelligence des plantes, ce botaniste montre à quel point les plantes sont des êtres vivants, sensibles, capables de communiquer et d’interagir. Avec cet énorme d’handicap par rapport aux animaux, les plantes ne peuvent pas fuir devant un prédateur, elles ont développé d’autres stratégies de défense et de survie.

Cette racine est décidément pleine de ressources !

Je me sens de plus en plus proche de rhizome, je sens que mon sujet est réellement inspirant.  Regarder le rhizome, c’est comme regarder une terre inconnue. Les racines offrent une promenade envoûtante et caverneuse dans un jardin souterrain ou d’outre-tombe.

Ce qui est passionnant est son aspect vital, ce don de survivant. Le rhizome se fraye le chemin sous la terre, fabrique des méandres d’un paysage invisible, il a emprunté à la terre sa chromie pour s’adapter. Il ne possède ni point de fuite, ni un centre. C’est Georges Bataille dans l’hétérologies, c’est ce que la pensée rejette, un monstre végétal sous la terre, comme un immense cordon ombilical qui survivra à l’homme. Il ressurgit comme un clandestin, toujours un peu plus loin.

L’intelligence du rhizome est loin d’être virtuelle. Il est agile, il communique, s’adapte à son environnement. Il en transmet non plus son savoir générationnel de manière péremptoire, hiérarchique et dogmatique. Difficile de déterminer dans une racine rhizomique le Père tout Puissant. Il a son intelligence propre dont bien des hommes devraient s’inspirer.

Et nous en arrivons enfin au rhizome penseur et philosophe !

Rhizome est aussi une méthode de recherche de solutions et une façon mathématique de penser et de représenter. Il est au fond proche de la logique des mathématiques des fractales, ni une ligne, ni une surface.

Le mot est à entendre, dans un premier registre, comme un concept abstrait, alternatif à celui de structure, permettant de penser la logique d’organisation et de transformation de la société.
Mais dans un second registre, plus concret, le terme renvoie à un mode d’interrelations décentralisé et de coordination décentralisée.

Gilles Deleuze and Felix Guattari’s font rimer botanique et politique

Les premiers ayant théoriser la force de la structure rhizomique ont été les philosophes français Gilles Deleuze et Felix Guattari. Wiki explique :

Citation : « La théorie du Rhizome est l’un des éléments de la « French Theory ». Il s’agit d’une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux. Elle vise notamment à s’opposer à la hiérarchie en pyramide (ou « arborescence »). Un rhizome est un modèle descriptif et épistémologique dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination (comme dans une hiérarchie) — avec une base (ou une racine, un tronc), mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre. Il ne peut y avoir en son sein ni cloisonnements arbitraires, ni rétention d’information, ni rapport « dominé/dominant ». » Wiki

Les 4 principes qui définissent le rhizome :

Le « principe de connexion et d’hétérogénéité » implique que le rhizome se forme par liaisons d’éléments hétérogènes sans qu’un ordre préalable assigne des places à chaque élément : « […] n’importe quel point d’un rhizome peut être connecté à un autre, et doit l’être »6.

La « multiplicité » : est « […] l’organisation propre du multiple en tant que tel, qui n’a nullement besoin de l’unité pour former un système »7, c’est-à-dire que la multiplicité ne peut être artificiellement unifiée et totalisée par une forme surplombante. la multiplicité est une forme de prolifération immanente et autonome.

La «  rupture assignifiante »  qui caractérise l’absence d’ordre, de hiérarchie entre les éléments et surtout l’absence positive d’articulations prédéfinies, contrairement aux arborescences ou systèmes organiques qui prévoient et localisent leurs faiblesses afin d’organiser les ruptures possibles : « un rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque »8.

Le « principe de cartographie et de décalcomanie », c’est-à-dire que la carte s’oppose ici au calque, en ce que le calque est reproduction d’un état de chose bien identifié qu’il suffit de représenter. Au contraire, la carte est un tracé original qui rend un aspect du réel que nous ne connaissions pas encore (une carte peut présenter des entrées multiples et un même espace peut être symbolisé par un grand nombre de cartes différentes).


Deleuze et Guattari les explicitent ainsi dans l’introduction de Mille Plateaux. « Rhizome », était en réalité d’abord le titre d’un article publié en 1976, devenu par la suite l’introduction de Mille Plateaux(1980).

On peut l’associer évidemment désormais à la cyberculture. Et même à la mathématique fondamentale.

Tout est à l’image de la somme de ses Parties, et chacune est à l’image du Tout ! C’’est aussi un principe fractal (notion mathématique).

Le rhizome est aussi le symbole de la philosophie de l’anti-fondationnalisme.

C’est en synthèse l’idée que la structure de la connaissance n’est pas dérivée, au moyen de déductions logiques, d’un ensemble de principes premiers.
Mais plutôt qu’elle s’élabore simultanément à partir de tout point, sous l’influence réciproque des différentes observations et conceptualisations. C’est aussi la logique d’influence de l’environnement et du contexte comme élément important d’évolution.

 Cela ne signifie pas qu’une structure rhizomique qui semble chaotique est nécessairement instable et labile.  Mais, cela exige que tout modèle d’ordre puisse être modifié. Comme dans un rhizome, il existe des lignes de solidité et d’organisation fixées par des groupes ou ensembles de concepts affinés par ce que cette théorie nome des « plateaux ». Ces ensembles de concepts définissent des territoires relativement stables à l’intérieur « du rhizome ».

Du plateau, il n’ y a qu’un pas aux « plates-formes » informatiques qui sont désormais des consolidateurs de la structure rhizomique de l’Internet !

Le rhizome est une façon de penser et de se structurer ?

L’organisation rhizomique est adoptée par les fourmis, les terroristes, le Frère Musulmans, les activistes, des mouvements clandestins et par le monde numérique et cybernétique et par le jazz. C’est aussi Amazon !

Lorsque les deux penseurs français définissent le concept Rhizome en 1976, ils ne décrivent pas autre chose que ce que l’on désigne à présent par le terme de réseau et celui des plates-formes géantes qui se créent de manière agile pour structurer l’ensemble et relier les commerçants, fabricants, revendeurs et clients à travers le monde et accessible de partout autour d’un thème comme ‘achat de baskets’ ou ‘blagues potaches’.

Le rhizome est le désir de liberté par tous les moyens, mais en restant connecté

Il y a un potentiel de rébellion dans le rhizome, vous l’aurez compris. Mais rébellion n’est pas juste un désir de chaos.
Pour moi, le rhizome représente avant tout le désir de liberté par tous les moyens, mais avec des lignes de solidité (règles) et connexions aux autres (respect de l’autre).

Un individu ‘rhizomique’ voyage léger, sait se délester de ce qui peut encombrer sa marche, échappe aux appartenances politiques, de classe ou de statut. Il transgresse les frontières, mettant en rapport les milieux les plus divers. Voilà un credo antibureaucratique et nomadique, une sorte d’Erasmus rhizomique, cher à la jeune génération.

rhizome

Le rhizome, c’est la conquête de la liberté, notre seul pouvoir sur l’espace et le temps.

C’est celui qui se déplace le long des « lignes de fuite » du rhizome, échappant à la « territorialité », à la « stratification », aux « codes » de l’organisation bureaucratique.
Mais le rhizome est aussi connecté, comme dans un cyberespace, il n’est pas rejeté en marge ni recroquevillé dans un espace de solitude. Le rhizome n’est pas un bulbe solitaire!

Je ne suis pas adepte de zéro interactivité, d’une solitude pas du tout rhizomique. La solitude voulue est un monde où l’homme un pivot dans son monde homo-centré.

Je me demande également si les hommes ne sont pas aussi attirés par les arbres, car ’il s’agit d’une représentation verticale et hiérarchique. C’est une trajectoire simple et directe entre le ciel et la terre et un axe historique au sens d’enracinement générationnel stable et sédentaire. Or le rhizome est nomade, comme un fleuve qui se dérobe, se déplace, déconstruit son enracinement pour devenir irascible grâce à son agilité. Il permet de comprendre que l’essentiel n’est pas la masse (le nombre et la quantité), mais la ligne et sa vibration. J’ai envie de traduire ces caractéristiques comme le lien et le mouvement.

Rhizome inspire, car il fait réfléchir sur la rupture a-signifiante et l’organisation horizontale

Il est intéressant de relire les travaux Rhizome des années soixante-dix pour mieux appréhender le monde actuel. Il est facile de noter son ambivalence qui articule l’émancipation et la domination, le désir et le pouvoir.
 Sans pour autant de tomber dans une vision apocalyptique de Michael Hardt et Antonio Negri. Le fait est que les entreprises les plus modernes et agiles ont sensiblement modifié les structures et organisations de travail en ‘horizontalisant’ les relations. Elles essayent abandonner les structures hiérarchiques de contrôle et les remplaçant par un contrôle plus fluctuant, fonctionnel et décentralisé). Trop grosses, trop hiérarchisées, elles ont tendance à s’assécher, leur marché envahi par les jeunes pousses agiles.

Les plus jeunes entreprises expérimentent même des organisations plates, sans chef, avec le management basé sur le standing meeting matinal pour annoncer son programme d’activité personnel de la journée.

Nous sommes dans une nouvelle phase de contestation de l’ordre économique. Comme toujours les potentialités de changement et de l’émancipation, le désir d’affranchissement de l’ordre imposé sont aussi porteur d’un très grand bricolage. Mais détrompons-nous, ce n’est pas une critique, car ces agencements chaotiques de signes et discours, de gestes et d’outils…sont la base de toute évolution et de progrès.

Le rhizome comme un réseau informatique décentralisé

« N’importe quel point d’un rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre, et doit l’être. C’est très différent de l’arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre », énonce le « principe de connexion » du rhizome. (Wiki)

Nous ne sommes pas ici dans un système informatique centralisé, mais dans l’environnement Internet. Le rhizome s’oppose aux « arborescences »« aux systèmes centrés » dont les éléments convergent vers un pivot, un principe d’autorité centralisée : imaginons une vieille unité centrale AS400 d’IBM, facile à cramer.

Internet est une plate-forme numérique (une structure plate) basée sur les programmes (software based facilities) permettant d’échanger, de se connecter et d’utiliser les services et contenus entre les unités connectées. Il s’apparente donc plutôt aux « systèmes acentrés, réseaux d’automates finis, où la communication se fait d’un voisin à un voisin quelconque (…) de telle façon que les opérations locales se coordonnent et que le résultat final global se synchronise indépendamment d’une instance centrale ».

Rhizome est donc du pear to pear  et du cloud !

Rhizome comme cartographie d’un nouveau type

Ce qui rend le rhizome particulier est l’organisation qu’il représente : a-design ou une nouvelle façon de penser la cartographie?

Organisation rhizomique, est une masse de racines qui partent dans toutes les directions, au hasard du terrain, en s’adaptant aux obstacles. Il n’y a pas de centre, ni une apparente hiérarchie.
Toute structure rhizomique est basée sur l’adaptation progressive, les éléments se créent à base de hasard, le mouvement initial est aléatoire, permanent, chaotique tout en créant une structure connectée et difficile à déraciner. Nous l’avons vu, c’est un « a-design » basé sur l’hétérogénéité multiple et connectée.

Comme pour une carte, nous pouvons pénétrer dans la structure par n’importe quel côté, ce qui compte est ce qu’il en ressort. Dans un rhizome, on est toujours au centre. Le rhizome n’a ni début ni fin prédéterminée : il se développe de façon aléatoire. Chaque élément de la structure peut donc potentiellement amener à une évolution de l’ensemble.

Le rhizome est intrinsèquement souterrain (underground), mais les fruits de sa croissance se montrent explicites, (improvisés et spontanés).

La cartographie est un art qui associe le mouvement et la trace.

La cartographie d’aujourd’hui est capable de produire les images qui cartographie le vivant et les traces du vivants. La carte GPS réagit avec le vivant et accumule les données permettant d’encoder les mouvements, les modifications éphémères. Le siècle dernier était le monde des cartes IGN. Le notre est celui des megabases grâce aux données du GPS et des cartes en 4D, la 4ème dimension étant le temps.

Les cartes en mouvement comme des rhizomes

Les cartes se forment à partir des mouvements, des trajectoires, des images provisoires du monde et de la terre qui réagit de plus en plus à notre action. Les flux du vivant interagissent, s’adaptent, mais détruisent aussi l’environnement. Nous pouvons désormais porter notre regard en mouvement, en profondeur, en creux, loin de la méthode euclidienne utilisant une simple grille de coordonnées.

En remplissant nos cartes avec nos actions de manière dynamique, nous découvrons que nos actions créent des réactions, véhémentes de la planète, du tout vivant « non humain ». Ce sont ces diversités de vie superposées et emmêlées comme des racines de rhizome, des trajectoires errantes et instables qui génèrent des espaces instantanés de notre vie. Le monde es-il en train de nous échapper, noyé dans la multitude et la diversité de figures?
Nous avons sans doute l’intérêt à s’inspirer du rhizome pour survivre.

Le rapport à l’art, agencement et décalcomanie, un chaos apparent

Il y a plusieurs rapports entre le rhizome et l’art.

Le rhizome est la fois simple et complexe : « pas de centre, pas de dogme, pas de partition intégralement préétablie, avec un aspect répétitif basique décliné sans relâchement etc.), et également sophistiqué (en métamorphose constante, avec des rotations dans les proéminences, intégrant l’aléatoire par l’improvisation sans se démettre de son intégrité.  (Wiki)»

Voici une proximité flagrante avec des pratiques artistiques : en musique par exemple le rock et le jazz développent par la faculté d’improvisation une déclinaison sophistiquée. Et bien sûr les images en perpétuelles mutations d’un Ensemble de Mandelbrot (mathématicien expert en dynamique complexe) qui sont devenus populaires grâce à la beauté des structures fractales et qui désormais visualisables grâce à l’infographie.

Au début d’une œuvre d’art, il y a le désir, mais aussi une idée de structure.

Ce désir d’expression est toutefois indissociable de ‘l’agencement’, de cette structuration variée au sein de laquelle il s’exprime (actions, objets, échanges verbaux, non verbaux et un protocole de fabrication, espace).

Avec rhizome, je découvre ainsi que l’essentiel n’est pas la masse mais le trait. Les traits d’image, traits de crayon, des pinceaux fins, suspendus dans les territoires ‘espaces’ colorés qu’ils fragmentent, animent par succession de vide et de plein. Le rhizome se traduit dans le dessin par l’importance donnée à la ligne et à la vibration et au mouvement. C’est une nouvelle étape qui ouvre des explorations intéressantes. Auparavant, je me passionnais plus pour la couleur, des formes, des aplats de couleur, désormais je privilégie de penser en ligne, en connexion et en vibration de couleur.

Le rizome réhabilite-t-il le dessin ?

 Le dessin a été presque éradiqué des écoles d’art, considéré comme un survivant archéologique. Mais voilà qu’il repointe son nez enrichi par de nouvelles techniques, dans sa version numérique comme art digital. Le dessin est aussi une tradition orientale, très lié à la nature. Il a aussi une proximité au motif, donc le rapport ‘à la structure cachée’, sous-jacente.

 Matisse disait : « Pour dessiner un arbre, il faut monter avec lui ».

Et si on croise la propriété rhizomique de réseau, l’agencement, la décalcomanie du chaos, cela donne-t-il l’art numérique ?

L’art numérique peut être compris de plusieurs manière. Le plus basique est la fonction de transport :

C’est le moyen d’échanger les images et de visualiser des œuvres de partout. Cela rend l’art plus accessible et plus visible, mais perdues dans la masse de données.

Dans un second temps, il permet de relier les données et les usagers

Apparaissent ainsi des ‘plate-formes’ dédiées à l’art et aux images comme thumbler, Pintrest, Instagram. De faciliter la recherche et de créer des ‘colonies’ de thèmes et d’usagers. Par exemple, des passionnés de rhizomes qui créent un tableau dédie aux images du sujet sur pintrest.

Il permet aussi de bloquer, de se protéger contre certains contenus, certaines images en créant des ‘filtres’ ou en limitant la propagation. C’est la défense contre les fake news, elles-mêmes rhizomiques et donc difficile à éradiquer.

Dernière étape : créer sa propre restitution créative.

Grâce à son propre langage (code, algorithmes, set d’instructions) il permet d’organiser les éléments du monde qui ne sont pas physiques mais digitaux (data, images, sons, textes, signaux, data liés aux comportements humains, climatiques.). L’art digital tend à les restituer de manière créative. Le système voit avec les datas et les algorithmes ce que ne peuvent pas voir nos yeux : ce sont les images sous-jacentes, cachées, souterraines et en mouvement qu’on découvre désormais grâce à ces agencements massifs de data.

Le but est d’ouvrir les champs des possibles de plus en plus grands et nombreux et dévoiler ainsi des champs des réalités nouvelles pour créer une émotion qui transcende. Oui, nous sommes enfin dans l’art digital à caractère rhizomique.

Voici quelques artistes et bidouilleurs numériques, fabricants de bots et pros de la visualisation :

Sophie Lavaud ou James Bridle qui s’amuse avec les bugs et découvre aussi les images sous-jacentes à partir de données visuelles produits par les objets se déplacent rapidement (les trainés d’avion). Ou encore Valeur (Pledge), Nerdwriter, Kazemi Darius, Casey Raes, James george, Kari Altmann, Joan Heemskerk, Dirk Paesmans, Cuppeteli and Mendoza, Addie Wagenknecht, Patakk, Sara Ludy, Pixel, Greg Petchkovsky.

La mathématique, l’urbanisme et l’art fractal?

De nombreux métiers puisent de l’inspiration dans la nature, et dans la logique rhizomique.

Anthony Bechu dans son livre Architecture for the future théorise parfaitement l’expression d’architecture fractale. Et comme fractale est une logique également rhizomique, nous y sommes. Bechu explore, comment le concept des mathématiques fractales, formulées autour des années 1970 par Benoît Mandelbrot, peut être transposé à l’urbanisme.

Madelbrot est héritier de Helge von Koch (celui du flocon de Koch), et Georg Cantor, un grand collectionneur d’art par ailleurs. Il s’intéresse à cette logique d’itération de fractions élémentaires et rationnelles. Ainsi, grâce à l’itération basée sur les mécanisme simples (if -then), suivant le principe d’autosimilarité d’échelle (comme les structures « gigognes ») on crée des formes définissables, mesurables malgré leur apparente présentation chaotique. Le calcul de la taille du chou-fleur ou du chou romanesco est donc à la portée de la cuisinière. Du flocon de neige au brocoli, il y a de quoi s’amuser.

Vers un urbanisme fractal?

L’idée est de rendre visible et ordonner la dimension cachée de la nature qui n’est ni lisse, ni dérivable et qui fait fi des formes géométriques classiques euclidiennes : ligne, carré, triangle. Elle fabrique les formes rugeuses, en apparence chaotique comme une carte des côtes de la Grande-Bretagne. Pas facile à mesurer !

Ce qui caractérise une structure fractale est le fait qu’elle optimise de manière conséquence les échanges avec l’environnement. Si la superficie de la pieuvre n’excède pas quelques centimètres carrés, celle de l’ensemble de ses broches et alvéoles équivaut à la surface d’un terrain de tennis.

Ce que retient architecte est donc cette division aléatoire, mais sainement organisée et qui offre la capacité de la fractale à économiser l’espace et donc l’énergie

Il s’agit donc aussi d’une réflexion sur la réduction de la consommation énergétique, mais aussi sur la réhabilitation d’un modèle de ville compacte sans être faite de blocus et de figures géométriques consommateurs en surface. Bechu imagine une ville polycentrique dont la forme est davantage résiliente.

Sa ville est système ouvert, avec ses espaces non bâtis et bâtis, favorisant les interactions, la circulation et augmentant la surface de contact avec les espaces verts.

On retrouve aussi tous les concepts du rhizome.

La hyper-connectivité, mixité, meilleure gestion de l’espace et de l’énergie, itération de schéma initial, pas de centre mais matrice fractale innervée par les réseaux qui transportent, partagent, transfèrent l’énergie à chaque élément constitutif de façon optimale et économe.

 Le concept de Bechu s’appelle Biogée. C’est un concept de ville idéale, à taille humaine, économe en espace et énergie, mais agréable à vivre pour toutes les générations et capable de face à toute évolution par le principe même de la fractale. Comme un rhizome architecturé, la ville idéale développe une infinité d’itérations et de ramifications lui permettant d’anticiper ses évolutions dans le temps et dans l’espace afin de s’y adapter au mieux.

Le rhizome, une métaphore et un modèle de représentation qui me touche.

Plus j’avançais sur le thème de rhizome, plus le sujet s’élargissait et se précisait. Ce thème est évidemment intimement lié à mes préoccupations et émotions issues du passé et du futur.

C’est aussi un concept de représentation et une façon de vivre l’espace. C’est en effet une belle métaphore de la recherche de liberté par tous les moyens, mais en créant des liens stables.

Les modèles de représentation évoluent, mais nous avons toujours besoin de se repérer. Lorsque tout devient instable et se modifie, nos repères ne peuvent rester identiques.
Se repérer demain, c’est tenter d’habiter l’espace peuplés de tout le vivant en collaboration. Cela signifie aussi de gérer les interfaces où se cristallisent des divergences.
Les frontières figées, les structures hiérarchisées, générateurs de conflit ne sont pas de nature rhizomique.
Elles limitent nos mouvements en instaurant les frontières rigides.

L’homme devra raisonner désormais comme un chorégraphe des circulations du vivant et construire des espaces qui peuvent se déconstruire et régénérer comme un rhizome.

C’est en cela que rhizome est inspirant et permet d’explorer une Terre incognita artistique. Il y a encore tant de choses à explorer.