Le reporter MARIE DANCER à Prague (en République tchèque),dans le cadre d’un dossier « Avoir 25 ans en Europe de l’Est », rencontre de la jeune génération qui n’ a pas connu le régime communiste. Nous sommes vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin.
En réalité, elle parle avec les étudiants des écoles supérieures pragoises, représentatifs de la jeunesse comme le un étudiant de Science Po de Paris serait le représentant de la jeunesse française en général.

Elle discute ainsi avec ceux qui ne votent pas Zeman, le populiste. Ces jeunes parlent comme tout étudiant des écoles de prestige en Europe.
Je relève toutefois quelques petites nuances : reconnaissance, lucidité, valorisation de la liberté.

La reconnaissance :  » les jeunes nés à cette époque expriment à la fois leur gratitude envers leurs parents, mais aussi leur désir de regarder devant eux. »

Je note également la trace de la transmission de l’expérience communiste des parents. De ce fait, la liberté est encore perçue comme une valeur importante : « ma mère m’a rappelé combien il leur était impossible ou presque de sortir des frontières ».

Je note une lucidité sur les phénomènes de vote populiste et radical :

« Les gens n’arrivent pas à exprimer leurs opinions dans le respect des idées différentes, nous n’avons pas cette culture du débat. »

Oui, la génération des parents n’a pas appris à gérer et à cohabiter dans un monde multi-culturel, multi-partite et ouvert aux autres cultures.

Je ressens souvent dans mes discussion avec les compatriotes ce déficit d’ouverture et de tolérance qui passe par une radicalité rapide des opinions, l’intolérance et même le racisme.

La peur de tout ce qui vient d’ailleurs est forte. Dans notre petit pays, les autres ont étaient toujours des dominants et porteurs de malheur. Il s’agissait d’occupants ou de colonisateurs, qu’ils soient ottomans, allemands, autrichiens, nazis, russes.

C’est en cela , il faut analyser la situation de ces pays différemment des pays en Europe de l’ouest. La France, la Hollande, la Belgique, l’Angleterre, c’était avant eux, les colonisateurs dans le monde. Ils deviennent aussi une terre d’accueil des immigrés pauvres qui y font toutefois d’abord des tâches subalternes.
Dans les pays de l’est, les » autres » envahissaient, utilisaient les richesses locales et exploitaient la main d’oeuvre qualifiée. Ils construisaient les palais pour la noblesse et traitaient la population slave avec mépris et comme des ‘serfs’.

La tolérance religieuse s’arrête aussi au catholicisme (religion associée à l’emprise culturelle allemande), le protestantisme (interdit pendant 200 ans, resté un symbole de rébellion locale) et le judaïsme (le ghetto a été ouvert rapidement à la fin de 19 e siècle et la cohabitation a été paisible). Mais tout autre religion est suspecte et totalement inconnue.

Voici donc l’interview de « la nouvelle génération », post 1989 :

« Je suis née à l’été 1989, et mes parents envisageaient alors d’émigrer, pour fuir le régime totalitaire de Tchécoslovaquie, » raconte une des étudiante interviewée. » Et puis les manifestations ont commencé à Prague, provoquant la chute du gouvernement communiste. Du coup j’ai pu grandir ici, dans ma ville natale. »

Gratitude mais désir d’avancer

Alors que la République tchèque s’apprête à fêter le 25e anniversaire de cette « révolution de velours », les jeunes nés à cette époque expriment gratitude envers leurs parents.

Jana, doctorante en sciences sociales, se sent « reconnaissante » envers celles et ceux qui l’ont précédée sur les bancs de la faculté, tant les étudiants ont joué un rôle moteur pour faire basculer l’Histoire du côté de la liberté.

Une période peu enseignée dans leur scolarité

Cette période, et les années qui ont suivi, leur a pourtant été peu enseignée – voire pas du tout – durant leur scolarité. Et quand ils se donnent rendez-vous, les jeunes se retrouvent plus volontiers dans les cafés de la Ville nouvelle que sur la place Venceslas et dans le vieux Prague, ce lieu mythique. Le cœur de la contestation du pouvoir communiste est surtout arpenté par les touristes.

La liberté, un goût particulier

S’ils sont nés dans un pays démocratique, pour ces jeunes, la liberté a un goût particulier. La possibilité d’accéder à l’université et de choisir ses études est une opportunité que Michal Malý, inscrit à la faculté d’économie de Prague, apprécie à sa juste valeur.

Sa mère avait été interdite de cursus universitaire au prétexte que son mari avait quitté le Parti communiste. « En plus, si la révolution n’avait pas eu lieu, je n’apprendrais pas du tout la même économie », assure ce jeune homme de 24 ans, dont les parents ont participé aux manifestations de la place Venceslas, alors que sa mère était enceinte de lui.

La liberté est aussi synonyme de voyages à l’étranger « à volonté ». « La première fois que je suis parti dans un autre pays, dans le cadre du programme Erasmus, ma mère m’a rappelé combien il leur était impossible ou presque de sortir des frontières, raconte Milan Kilík, 25 ans, qui étudie les sciences politiques. Et les seules destinations autorisées étaient les pays du bloc communiste. Ma génération a la chance de vivre au meilleur moment de l’histoire du pays ! Nous vivons une grande époque ! » se réjouit-il.

Politique? Il y a beaucoup de corruption dans le système.

Assise en face de lui, Jana enchaîne : « La liberté, pour moi, c’est tout simplement de disposer d’opportunités multiples et de pouvoir choisir, outre mes études, mes opinions, ma religion, les produits que je consomme… Ma vie est entre mes mains, c’est à moi de la construire. »

La politique ? Au mieux, elle les intéresse peu, au pire ils la rejettent. « Quand j’ai commencé à étudier les sciences politiques, se souvient Milan, je vous aurais dit que je voulais me lancer en politique. Mais j’ai perdu la confiance et l’envie car j’ai réalisé qu’il y a beaucoup de corruption dans le système. »

Du haut de ses 24 ans, Annamaria estime que les politiciens tchèques manquent de crédibilité. Elle s’informe en lisant les magazines Respekt et Reflex « qui sont les plus indépendants. En effet, une grande partie des journaux sont détenus par l’actuel ministre des finances, souligne-t-elle. J’utilise aussi les réseaux sociaux, en particulier les articles relayés par certains amis, sympathisants des écologistes ou du parti des Pirates.

« Les gens n’arrivent pas à exprimer leurs opinions »

D’après Michal, « l’amélioration de notre démocratie doit à présent passer par la suppression des conflits d’intérêts et par une transparence accrue. C’est aux journalistes et aux ONG de faire ce travail, de découvrir où se niche la corruption. »

Ce jeune homme consulte régulièrement le site Internet « Demagog ». Créé par des étudiants en Slovaquie, il s’est étendu à la République tchèque et vise à vérifier la crédibilité des déclarations des hommes politiques.

Comme ces derniers, les citoyens tchèques ont encore du chemin à faire, estime Jana. « Les gens n’arrivent pas à exprimer leurs opinions dans le respect des idées différentes, nous n’avons pas cette culture du débat », regrette-t-elle.

Voter pour ne pas gaspiller un droit conquis

Les choses changent peu à peu, néanmoins. Pour Alena Procházková, la citoyenneté consiste d’abord à exercer son droit de vote « pour ne pas gaspiller ce droit conquis de haute lutte, comme me l’a appris mon père. Je ne comprends pas ceux qui se plaignent alors qu’ils ne mettent pas leur bulletin dans l’urne », poursuit-elle.

Paradoxalement, la jeune femme s’intéresse davantage à la politique tchèque « depuis mon séjour comme étudiante à Paris, en scrutant les débats français. Aujourd’hui, je ne suis pas militante politique, mais peut-être qu’un jour je changerai d’avis. »

Des jeunes conscients d’être « privilégiés »

Tous ces étudiants praguois se disent conscients d’être « privilégiés ». Ils savent que des jeunes de leur âge, dans le monde ouvrier, se sentent oubliés par le nouveau système, où l’emploi pour tous n’est plus garanti.

Tandis qu’eux aspirent, après leurs études, à fonder une famille, exercer un métier « épanouissant mais pas trop prenant » et pouvoir voyager au rythme de (leurs) envies. « J’aimerais aussi apporter ma pierre à la société, complète Alena, même si je ne sais pas encore comment. »

Restaurer de la chaleur dans les relations

Gabriela Emanovská, 20 ans, a déjà son idée. Cette étudiante en France, où elle passe une année universitaire à Paris, est rentrée à Prague pour les vacances de la Toussaint.

« Je voudrais m’engager pour créer du lien entre les individus tchèques, qui se réfugient dans le travail et la consommation, constate-t-elle. Contribuer à restaurer un peu de chaleur dans les relations humaines, voilà un engagement qui me tient à cœur », affirme cette jeune femme qui étudie l’anglais et le « français langue étrangère ».

Des Européens à part entière

Dix ans exactement après l’entrée de leur pays dans l’Union européenne (UE), tous se sentent des Européens à part entière. « Nous avons une histoire, une culture et des valeurs communes », assure Lucie Svátková, du groupe d’amis de Jana, Alena, Michal et Milan.

« Nous sommes peut-être plus vigilants sur nos libertés, complète Alena, plus inquiets de les perdre. La crise entre l’Ukraine et la Russie nous affecterait davantage si notre pays n’était pas membre de l’UE. »

Milan voit en l’Union « l’organisation qui a su transformer d’anciens ennemis en amis. Ces pays coopèrent et discutent d’enjeux communs, ils sont plus forts ensemble. » « Nous vivons dans les conditions que nos parents ont créées pour nous, pour lesquelles ils se sont battus, fait remarquer Alena. À nous de le transmettre à nos enfants. »


La mémoire du Printemps de Prague

1968 : le « printemps de Prague », sous l’impulsion du dirigeant réformateur Alexander Dubcek, vise à obtenir une libéralisation politique du régime communiste. Il est réprimé le 21 août par les troupes soviétiques et du pacte de Varsovie.

Janvier 1969 : mort de Jan Palach, étudiant qui s’est immolé par le feu sur la place Venceslas pour protester contre l’occupation soviétique.

17 novembre 1989 : quelques jours après la chute du mur de Berlin, une manifestation d’étudiants est réprimée par la police. Les manifestations suivantes conduisent à la chute du gouvernement communiste. C’est la « révolution de velours ».

29 décembre 1989 : l’ancien dissident Vaclav Havel est élu président de la République tchécoslovaque.

La République tchèque compte aujourd’hui 10 millions d’habitants. Le président, depuis 2013, est Milos Zeman, ancien membre du Parti communiste. Il a fondé le Parti des droits civiques.
(1) La République tchèque et la Slovaquie se sont séparées en 1992.